À TOUS LES ENFANTS DU PROLÉTARIAT ET DU SOUS-PROLÉTARIAT, À TOUS CEUX ET CELLES APPARTENANT À LA CLASSE DES SACRIFIÉS DU SYSTÈME. HIER, VOS PARENTS ET GRANDS-PARENTS, NOS PARENTS ET GRANDS-PARENTS, ÉTAIENT TRANSFORMÉS EN "CHAIR À CANON", ENVOYÉS AU FRONT POUR Y CREVER EN DÉFENDANT DES INTÉRÊTS QUI N'ÉTAIENT PAS LES LEURS. AUJOURD'HUI, C'EST LE DESTIN DE "CHAIR A PRISON" QUI NOUS EST OFFERT, QUI VOUS EST OFFERT. REFUSEZ CETTE TRAGÉDIE ! REFUSEZ CETTE LOGIQUE !" COMMUNIQUÉ CLANDESTIN DE 3 PRISONNIERS DE LA CENTRALE D'ARLES, OCTOBRE 2001 t L’Envolée est un journal trimestriel. Il publie les lettres de pri¬ sonniers que nous recevons, des comptes rendus de procès aux¬ quels nous assistons, et des analyses sur la société et ses lois. Le journal prolonge le travail mené par des émissions de radio indépendantes qui maintiennent un lien entre l’intérieur et l’extérieur des prisons, hors du contrôle de l’administration pénitentiaire. Le journal est réalisé par des ex-prisonniers ou des proches de prisonniers qui pensent qu’il est primordial de publier des textes venus des prisons et des textes contre les prisons. Les prisonniers décrivent leur quotidien, dénoncent leurs conditions de déten¬ tion, se battent contre l’enfermement, sans laisser les journalistes, sociologues, militants et autres experts parler à leur place. Une parole de prisonnier qui sort et attaque l’administration pé¬ nitentiaire ou la justice, qui plus est quand cette parole est col¬ lective, constitue un acte politique qui dérange l’ordre des choses. L’Envolée se veut porte-voix des prisonniers et prisonnières qui luttent contre le sort qui leur est fait ; mais nous ne sommes ni les porte-parole, ni un syndicat de prisonniers. Cela ne nous em¬ pêche pas, bien sûr, de soutenir et d’aider des prisonniers qui sont proches de nous ou qui nous demandent d’être solidaires. Nous faisons le pari que les mots inspirent et nourrissent des luttes contre la justice et l’enfermement. Pour nous, la liberté est un rapport social entre les gens qui se battent ensemble pour la gagner. Le journal s’inscrit dans l’histoire de la critique sociale abordée sous l’angle du droit et de la justice. La prison est le ciment né¬ cessaire à l’Etat pour permettre au capitalisme de se développer. Prisons et justice servent principalement à enfermer la misère. L’enfermement carcéral joue un rôle social de repoussoir : il pro¬ duit une peur nécessaire au maintien de cette société. Ainsi la prison sert aussi à enfermer dehors. Les familles et les proches de prisonniers et de prisonnières le savent bien. Ce journal existe maintenant depuis plus de quinze ans malgré les censures de l’administration pénitentiaire, malgré les pour¬ suites récurrentes pour diffamation, malgré nos faibles moyens. Nous ne comptons que sur l’argent des abonnements et des évé¬ nements que nous organisons pour financer la sortie régulière du journal. N’hésitez pas à écrire, à vous abonner et à abonner des prisonniers en faisant parvenir leur numéro d’écrou (l’abonne¬ ment est gratuit pour les prisonniers). Si vous souhaitez écrire à un prisonnier ou une prisonnière dont vous aurez lu un courrier dans le journal ou sur Notre site, nous pouvons vous faire parvenir son numéro d’écrou — si la personne nous a donné son accord pour le faire. À bas les prisons, toutes les prisons... soyons solidaires des en¬ fermés qui refusent de se résigner, solidaires des familles et des amis qui se démènent tous les jours pour ne pas lâcher face à une machine à broyer. SOMMAS? CHAIR À PRISON p. 4/8 Nous sommes d'accord avec les prisonniers Lettres de Marina, de Ekhine, de Michel CHAIR À CANON p. 9/15 Logique de guerre et condamnation préventive Mort d'un prisonnier à St-Martin-de-Ré St-Martin-de-Ré : antichambre du bagne Mort d'Adama : on connaît la vérité ! CHAIR À MATON p. 16/20 Christine : rébellion les mains dans les poches Lettre de Mohamed CHAIR À CONDAMNATION p. 21/25 À propos du procès en appel de Kamel CHAIR À SANCTION p. 26/29 Lettres des prisonnières politiques basques Les magistrats de Valence sont des farceurs CHAIR À PATRON p. 30/37 Grève dans les prisons américaines Appel à mettre un terme à l'esclavage Entretien avec des militants de Californie LETTRE DE HUGUES p. 3 8 PARUTIONN’DRÉA, Édition du bout de la ville M oi, je peux sortir sur la place publique ou aller sur le marché et dire: «Je m’appelle Serge-Philippe Dignon, je sors de prison, j’emmerde le directeur de la prison de Nanterre. » Mais est-ce que vous vous pouvez venir en survêtement ou en babouches en bas de ma cité et dire «Je m’appelle..., je suis le directeur de la maison d’arrêt de Nanterre et j’emmerde les Rmistes qui sont ici», vous pouvez dire ça ? Non, eh bien, on n’a pas la même notion de la liberté. Les nouvelles prisons sont construites par les seigneurs du béton et il faut les rentabiliser. On fait rentrer du monde à travers une politique répressive et en même temps c’est une main-d’œuvre bon marché. La délinquance, elle est cotée en Bourse à travers les Dumez et les Bouygues. On ne le dit pas mais quand ils font un plan de construction, ils créent de la délinquance et eux-mêmes le disent encore, il faut créer des places de prison, faire rentrer les gens là-dedans. Dans ces prisons-là, les détenus qui ne cantinent pas, ils les transfèrent à Fresnes ou Bois-d’Arcy car dans les nouvelles prisons tu n’es pas là pour recevoir du sucre ou de la Ricoré de l’administration. Tu dois cantiner et les prix sont deux fois plus chers qu’à l’extérieur. Et à l’atelier vous êtes payés un crachat dans la figure; c’est des prisonniers qui font tourner des entreprises extérieures. Bouygues fait la prison, l’entreprise du coin recrute la main-d’œuvre et tout est bon ! On marginalise les détenus pour rentabiliser les prisons. La délinquance c’est devenu une industrie. Tout ça c’est bien goupillé. Ce sont les circonstances qui font le délit. J’ai pas de papiers, je peux pas travailler. Ils peuvent pas dire qu’ils ne savent pas ce qui se passe. Ils ont plein de gens. Parce que si demain il y avait pas de délinquance, une partie de la société s’écroule: un avocat, demain il a plus de travail, il est au chômage, le JAP, il coule, l’infirmier il coule, le greffier il coule, le maton il coule... Un délinquant, tu te rends compte le nombre d’emplois qu’il crée? Donc qu’ils nous prennent pas pour des cons. Ils ont sacrifié une partie de la société, il y a une partie qui sert de bifteck à l’autre... Y a le code pénal et y a aussi la loi de la nature. T’as des gens qui n’ont même pas le minimum vital et on leur demande de faire un parcours sans faute. Qui est-ce qui va bosser à l’atelier? C’est pas le braqueur du coin mon ami, c’est le Polonais, le Colombien qui s’est fait serrer qui habite à Bogota qui n’a pas un sou, qui va aller à l’atelier, qui va trimer et qui va être sous-payé. De toute manière, un Noir c’est un Noir et il fera que du noir, une misère noire, noire comme un corbeau... Quand ils disent qui vole un œuf vole un bœuf, je ne suis pas d’accord. Un œuf tu peux le dérober. Tu le mets vite fait dans ta poche. Pour un bœuf, il faut du matériel, une camionnette. C’est des gens comme Bouygues qui peuvent voler un bœuf. Donc on n’est pas dupe, qui vole un œuf ne vole pas un bœuf ; leur philosophie, ils peuvent la remballer. Le vrai délinquant, il a tellement de sous qu’il paye un type qu’on appelle un comptable pour compter son argent. J’ai été condamné pour des peines bidon. Tu mets un malheureux coup par désespoir. Les matons sont trente, ils ont la force du nombre. Tu fais un maximum de cachot, tu vas au tribunal on t’en met plein la bouche avec des amendes, tu n’as pas le droit aux remises de peine. Ils te font le black-out jusqu’au jour où tu pètes les plombs et que vraiment tu donnes des coups et c’est là qu’on en arrive à des trucs graves. Après ils disent, on a des cas psychiatriques. Non, il n’y a pas «des cas psychiatriques». Le type qui est rentré en prison, il a joué : ils ont mis un jeu d’échec, il a pas voulu être un pion, il savait très bien à quoi il jouait. Donc c’est pas un cas psychiatrique. C’est eux qui désarticulent les gens. Il faut arrêter avec les procès bidon. Je suis rentré avec trente mois, je me suis retrouvé avec huit ans sans remise de peine. Pourquoi ? Gifle, émeute, voilà. Et à la fin, ils m’ont jeté en psychiatrie. Je suis rentré en psychiatrie, je suis sorti, je suis là, je ne suis pas fou. La bêtise c’est un aphrodisiaque, les gens ils aiment ça la bêtise. Plus les politiciens les flouent, plus ils en veulent. En 1789, il y a eu un semblant de révolution. En ce moment il paraît que ça bouge dehors... Moi j’ai envie de suivre mais ils bougent pourquoi ? Ils bougent pour leurs salaires, alors on tourne en rond. C’est comme quand on était petits le manège de bois. On allait au manège, moi je prends le petit cochon, moi je prends les pompiers, on tourne en rond mais on n’avance pas. Il faut être main dans la main, solidarité les gars, que ce soit un voleur de poule ou un braqueur de Brink’s. SO-LI'DA-RI-TÉ. Quand le navire prend l’eau on ne fait pas une table ronde, on vide l’eau. Celui qui résiste se maintient, seul le fuyard s’écroule. Serge-Philippe Dignon Extraits d’une émission radio de l’Envolée octobre 2002 CHAIR À PRISON NOUS SOMMES D’ACCORD AVEC LES PRISONNIERS Le mouvement social en prison : retour sur les révoltes de prisonniers des derniers mois Cet été, les prisonniers se sont révoltés dans plu¬ sieurs taules, déclenchant une vague de mouvements comme on n’en avait pas vu depuis longtemps. Malgré leur importance, ces mouve¬ ments sont restés cantonnés aux colonnes « faits divers » de la presse. Quasiment sans aucun relais ou écho en dehors des canaux officiels: pas de proches de prisonniers qui s’expriment, pas de comités de soutien, aucun rassemblement. Rien. La consigne du pouvoir à la presse semble avoir été claire: pas une parole de prisonniers -même pas de ceux qui ont contacté par téléphone le tor¬ chon local. Les seules voix que l’on a pu entendre sont comme d’habitude celles des procureurs locaux et des matons syndiqués. Le syndicat de surveillants SPS résume ainsi la situation: «Les détenus ne sont pas dupes et ont bien conscience que le manque d’effectifs leur est favorable pour imposer leur loi. » Face à ce bruit de fond qui couvre les mouvements, reprenons les choses au début en commençant par dire: «Nous sommes d’accord avec les prisonniers. » Le 17 juillet, à la maison d’ arrêt d’Osny, une centaine de prisonniers ont refusé de remonter de cellule et ont caillassé les matons. «Pas de reven¬ dications » d’après la presse. Le 24 juillet, 81 d’entre eux ont refusé de remon¬ ter en cellule et ont brûlé des draps en hommage à Adama Traoré tué par des gendarmes le 19 juil¬ let. Ils ont exprimé de manière exemplaire leur conscience de la continuité qu’il y a entre la ges¬ tion policière des quartiers populaires et la violence quotidienne exercée par la justice à l’in¬ térieur des prisons. Le 28 août - faisant suite à un précédent blocage fin juillet - cent prisonniers de la maison d’arrêt de Villepinte ont bloqué la promenade, vraisem¬ blablement pour dénoncer la gestion des cantines par la Gepsa. Le 4 septembre, à la maison d’arrêt d’Angers, une soixante de prisonniers ne sont pas remon¬ tés de promenade. Ils ont appelé Ouest-France : « On bloque la prison. Les conditions de déten¬ tion sont devenues inhumaines. Même un chien ne vivrait pas ici. » Le 7 septembre, au centre de détention d’Aiton près de Grenoble, huit prisonniers cassent les toi¬ lettes et le téléphone public dans la cour. Le 16 octobre, 50 cellules de cette prison ont été saccagées et une trentaine de prisonniers ont mis le feu à leur matelas. Une partie de la prison a été évacuée. «Pas de revendication» d’après la presse. Le 12 septembre, au centre pénitentiaire de 4 Vivonne, une soixantaine de prisonniers ont mis le feu à leur cellule; un bâtiment a brûlé entière¬ ment, le système électrique a cramé et celui de vidéosurveillance a été mis hors circuit. Les pri¬ sonniers ont été transférés dans les taules des départements voisins. Une prisonnière de Vivonne nous a écrit à propos de cette mutinerie : «Par rapport à la mutinerie qui a eu lieu la semaine dernière au CDH, presque tout ce que nous avons su c'est par les médias, que le mec qui a déclenché la mutinerie avait vu sa perm' refusée par le directeur alors que le juge lui avait accor¬ dée. Qu'ils ont pris les clés à un surveillant, qu'ils ont ouvert les portes des autres prisonniers, qu'ils ont fait sortir les choses et ils ont mis le feu. Que les flics sont rentrés et qu'ils ont « fait le néces¬ saire» pour stopper la mutinerie. Peut-être deux infos que personne n'a entendu dans les médias: il y a des doutes sur le pourquoi de l'hospitalisa¬ tion du mec. C'est à cause de la fumée ou à cause des nombreux coups qu'il a pris quand les super flics ont « fait le nécessaire» ? Apparem¬ ment on a vu des prisonniers couverts de sang sortir du bâtiment. C'est intéressant de remar¬ quer également que les prisonniers-ères qui étaient témoins dans les cellules étaient contents de voir cet acte de rébellion. Ça a crié, beaucoup et fort, des insultes contre l'AP et la police et des cris de solidarité envers les mutinés. C'était vrai¬ ment beau à voir et entendre. Nous sommes convaincu(e)s qu'il y aura des représailles avec le temps. Et pour ceux qui ont fait la mutinerie, la punition va être lourde, ça tout le monde le sait, force et courage les mecs ! Ils utiliseront le pré¬ texte de la mutinerie pour mettre en place d'autres mesures répressives, ou nous enlever des droits, mais nous aurons toujours en nous le plai¬ sir de savoir que Monsieur le directeur a été humilié (leur super prison de haute sécurité célè¬ bre pendant quelques jours parce qu'il y a eu un gros bordel) et peut-être il se souviendra toujours que l'animal humain n'est pas si facile à dresser. » Le 25 septembre, au centre pénitentiaire de Valence, trois prisonniers ont volé les clefs de sur¬ veillants et ouvert des portes de cellules. Quelques matelas ont brûlé, déclenchant un incendie. Le 18 octobre, une trentaine de prisonniers ont refusé de remonter en cellule suite à une fouille au centre pénitentiaire de Liancourt. Ils ont rendu « inopérant le système de vidéosurveillance et ont allumé plusieurs incendies sur la coursive. Ils ont également bloqué les grilles d’accès à l’étage dans le but de retarder l’intervention des personnels.» Les syndicats réclament des poursuites pénales contre « les meneurs de ce mouvement collectif». Le gouvernement s’est servi de ces mouvements pour légitimer sa politique de surpénalisation. Au-delà de la traditionnelle logique sécuritaire des périodes électorales. D’après lui, la surpopu¬ lation serait à l’origine de tous les problèmes; ce serait même le bouillon de culture de la radicali¬ sation en prison, qui met en danger non seulement le personnel pénitentiaire mais la société toute entière. Et ils projettent évidemment la construction de 24000 nouvelles places... Quelle blague ! Les prisonniers, eux, ne veulent pas plus de prison : ils en veulent moins. Ils veu¬ lent pouvoir sortir. Leurs mouvements sont l’expression de leur refus de la politique de (non) aménagement des peines. Déjà à l’été 2015, les prisonniers de Réau, Toulon, Tarascon et Nantes, entre autres, avaient fait circuler des pétitions et des plates-formes : ils dénonçaient une politique qui vise à ce que «plus personne ne sorte ». Nous en avons été les relais dans les précédents numé¬ ros. La colère face à ces refus systématiques de transferts, de sorties en permission ou en condi¬ tionnelle n’a pas été entendu, et s’est logiquement traduit en mouvements. Le ton s’est durci. Ces mouvements affirment tous une évidence : quand il y a un refus systématique de toute demande par l’administration péniten¬ tiaire, la seule arme qui reste c’est la violence, entre autres brûler sa prison. Si les prisonniers prennent de tels risques - tabas¬ sages, transferts, peines supplémentaires... - ce n’est pas par désespoir mais bien pour se faire entendre hors des murs de leur prison. Ces mouve¬ ments sont des appels qui cherchent des destinataires. Mais personne ne répond. Pourtant, quand quatre dockers du Havre sont placés en garde à vue pour violences contre flics pendant une manifestation contre la loi travail, le port est immédiatement bloqué, des centaines de personnes protestent devant les commissariats des grandes villes françaises. Quand huit ouvriers de chez Goodyear prennent en otage leur patron et passent en correctionnelle, la CGT pénitentiaire demande la relaxe des huit militants qui ont pris vingt-quatre mois en première instance et déclare : « Les patrons peuvent jeter les travailleurs vers la misère. Mais quand des travailleurs relèvent la tête et ne se laissent pas faire, c’est la prison. » On pense à Fabrice Boromée ou Rachide Boubala qui prennent des peines infinies pour avoir séquestré leur « patron » - en l’occurrence le sous- directeur de Condé-sur-Sarthe: quand ce sont les 5 L'Envolée n°45/novembre 2016 ~”)i \ Yy prisonniers qui relèvent la tête, qui ne ï- 1 U se laissent pas faire, ils sont certains de prendre des années de prison supplé¬ mentaires. On se souvient aussi du déménagement de la prison du centre-ville de Poitiers à Vivonne en 2009 : une manifestation avait cassé et tagué les vitrines. « Coucou, c’est nous », disaient des manifestants. Aujourd’hui, c’est au tour des prisonniers de Vivonne de dire à toute une société: « Coucou, on est là ! » À quand une conscience commune que nos exis¬ tences sont liées à la prison ?... Comment ne pas comprendre que la prison n’est pas une institu¬ tion à part, mais qu’elle est au contraire la réponse de l’Etat à toutes les luttes, à tous les refus qui prennent un peu d’envergure. Le dur¬ cissement des mouvements répond au durcissement des conditions faites aux prison¬ niers, ils sont le reflet grossi du durcissement actuel des rapports sociaux en général. Il y a une quinzaine d’années, trois prisonniers de la cen¬ trale d’Arles s’adressaient à l’ensemble de la société dans un communiqué clandestin à l’oc¬ casion de la commémoration de la prétendue abolition de la peine de mort. Ils concluaient leur texte ainsi : «Enfin, nous souhaitons adresser un message à tous les jeunes des cités, à tous les enfants du prolétariat et du sous-prolétariat, à tous ceux et celles appartenant à la classe des sacrifiés du système. Hier, vos parents et grands-parents, nos parents et grands-parents, étaient transfor¬ més en «chair à canon», envoyés au front pour y crever en défendant des intérêts qui n étaient pas les leurs. Aujourd'hui, c'est le destin de « chair à prison » qui nous est offert, qui vous est offert. Refusez cette tragédie, refu¬ sez cette logique. Prenez conscience de tout cela avant qu'il ne soit trop tard. Car les portes de prison se referment de plus en plus sur vous et de plus en plus longtemps, alors que les véri¬ tables délinquants, ceux qui vivent sur le dos de la misère, de notre misère, de toute leur arrogance, se goinfrent en rigolant de nos mal¬ heurs, de nos vies sacrifiées. » Suite à ces mouvements, il y aura des procès (dont on trouvera les dates et les lieux sur le site lenvolee.net) : la moindre des choses est de ne pas laisser ces prisonniers seuls face à des tribu¬ naux qui les condamneront encore et encore... Dans une interview récente, Xavier Mathieu, figure médiatique des Conti, fait le premier pas vers la reconnaissance d’une condition com¬ mune entre tous ceux qui se battent contre ce système, libres ou enfermés : « J'ai été un paci¬ fiste toute ma vie, un non-violent toute ma vie, mais je ne crois plus au pacifisme. Je crois en la violence; vous voyez, par exemple, on a pété la sous-préfecture de Compiègne ; ça faisait six semaines qu'on réclamait des négociations. Aucune n'était acceptée, on a pété la sous-pré- fecture et trois heures après on nous accordait ce qu'on demandait. En face, ils n'ont peur que de ça, que de la violence. Et ça ne dessert rien du tout; quand j'étais convoqué par la police et mis en garde à vue, les Conti sont descendus dans la rue, ils ont attendu deux heures devant le commissariat, on a signé un papier et on est sortis aussitôt. Y a que ça qui leur fait peur. » «Délinquant», c’est le mot dont se sert l’Etat pour désigner toutes celles et ceux qui contre¬ viennent à son autorité. Le reprendre communément et stupidement à son compte ne fait que créer des divisions entre femmes et hommes de même condition... « Si on ne se bat pas, nous sommes perdues d’avance » Centrale de Rennes, le 1 er octobre 2016 Je me trouve à Rennes après avoir été transfé¬ rée illico suite au mouvement de Fleury-Méro¬ gis. Les quatre qui avons été choisies comme bouc-émissaires, nous avons passé quinze jours au mitard pour les blocages. Une d’entre nous a été transférée depuis le mitard, moi cinq jours après ma sortie du cachot. Une autre camarade vient d’être transférée ce mois-ci. Le dimanche matin, les gradés se sont plantés dans ma cel¬ lule avec des cartons, ils n’ont pas voulu me dire où ils m’emmenaient. Jusqu’à 22I130, les ma- tonnes ne m’ont pas dit à quelle heure je devais me tenir prête. À 7 heures du matin le lende¬ main, j’ai finalement su ma destination. La moitié de mes cartons sont restés à Fleury, et c’est grâce à la solidarité des amiEs de la radio que je les ai eus une semaine après. 6 Aujourd’hui, je ne vais pas m’étendre sur les conditions de vie du CPF de Rennes. Je veux seulement dire une chose. La pénitentiaire nous menace avec des punitions et des trans¬ ferts, entre autres. C’est vrai, à Fleury nous avons passé quinze jours au trou. Le mitard c’est dur et ils nous ont fait la misère ; à cause d’un gradé, nous avons refusé des repas et la seule heure de promenade que nous avions, si on peut appeler « promenade » une cage com¬ plètement grillagée de huit par trois pas. Le mitard, c’est l’ultime expression de la répres¬ sion à l’intérieur, c’est la vengeance pure et dure, c’est ce qui laisse le plus clairement dé¬ couvrir la finalité ultime de la taule : nous faire souffrir, nous détruire comme êtres humains. À vous d’y trouver les moyens d’y faire face : la solidarité, les lettres, la lecture ça aide. C’est dur mais supportable, et encore plus quand nous avons participé à un mouvement collec¬ tif, lequel, pendant quelques semaines, nous a laissé plein de bons souvenirs et nous a chargé les batteries pour continuer à nous battre contre la folie de l’enfermement. En sortant du mitard, un bruit courait sur les menaces de transferts. C’est vrai, les transferts nous bouleversent, ils cassent les liens qu’on a tissés à l’intérieur ; notre routine, nos habi¬ tudes et conditions de vie changent complète¬ ment, il faut tout recommencer. À l’extérieur aussi nos familles et amiEs en subissent les conséquences. Je pense fort à tous les prison- nierEs qui se battent et qui se font transférer sans cesse et je suis très consciente de l’impact que cela a dans leur vie, je l’ai vécu moi-même. Cela dit, je veux juste dire que, sur le cas précis du mouvement de Fleury, toutes celles qui avons été transférées étions en attente de transfert, puisque nous étions déjà condam¬ nées depuis longtemps, et que nous avons passé de longues années en maison d’arrêt. C’est vrai, le transfert est une menace bien réelle, mais c’est vrai aussi que la pénitentiaire s’appuie beaucoup sur la peur que ces menaces provoquent pour stopper les mouvements. Et sur toutes les personnes qui se sont mobili¬ sées, il n’y a eu que trois transferts, et pour nous trois les conditions de vie se sont amélio¬ rées considérablement. C’est-à-dire que cette histoire de transferts a eu plus de propagande qu’autre chose. D’ici j’envoie une forte accolade à toutes les filles qui sont restées à Fleury et avec les¬ quelles j’ai partagé ces moments ; ainsi qu’à toutes les personnes qui sont venues manifes¬ ter pour nous soutenir, cela nous a donné beaucoup de force. C’est vrai, ils ont réussi à mettre en place la pro¬ menade unique, mais nous avons gagné en di¬ gnité et cela est notre réussite à nous. Si on se bat, on peut perdre ou gagner, mais si on ne se bat pas, nous sommes perdues d’avance. Gros bisous à tous et toutes qui se battent à l’in¬ térieur et à vous qui vous vous battez avec nous de l’extérieur. Cela me manque beaucoup de ne pas vous entendre à la radio ! À bientôt. Marina Maison d’arrêt de Fresnes, le 20 juin 2016 Salut ! Franchement, le mois de mai n’a pas été facile dans ce trou, mais tant que notre lutte a duré, nous n’avons pas manqué de force, car la chaleur qu’on a reçue de dehors a été incroya¬ ble. Je pense que vous êtes déjà au courant que notre camarade Itziar Moreno est sortie du quartier d’isolement et a été transférée à la pri¬ son de Fleury-Mérogis. Ici, elle va nous man¬ quer beaucoup, mais le plus important est que maintenant elle se trouve avec des camarades. Comme toujours, nous avons été la cible de la direction de Fresnes, mais nous avons montré une énième fois que la prison ne résoudra pas les problèmes. Il faut dire aussi que dans ces dernières semaines il y a eu des changements en détention. Ils ont pris quelques mesures, surtout, par rapport à l’hygiène. Une forte accolade de notre part. Continuez à propager la solidarité ! Force à toutes et tous ! ! ! Plusieurs tranchées, une seule lutte ! À bas tous les murs ! Ekhine 7 L'Envolée n°45/novembre 2016 Centre de détention de Châteaudun, le 10 juin 2016 Salut à tous, J’accuse... bonne réception de mon premier numéro de l’Envolée, car je ne pensais pas un jour pouvoir vous lire et faire ainsi votre connaissance. En effet, dans un précédent éta¬ blissement de concentration humaine, il y a deux ans, je vous ai écrit pour m’abonner mais ma lettre est restée lettre morte... probable¬ ment une erreur de la poste (intramuros) et de sa censure ! C’est donc avec plaisir que j’ai lu et relu le der¬ nier numéro dans lequel je prends connais¬ sance de la situation des femmes à Fresnes et à Fleury, ainsi que les turpitudes de Maître Ri¬ pert, que j’ai connu il y a quelques années de ça lorsque j’étais au CP d’Aiton après mon ex¬ tradition de Bosnie par Interpol. Tout ce qui se passe ne m’étonne plus. Nous vivons dans une société stérilisée par des principes et des règles propriétaires, soufflés par une minorité capitaliste de petit(e)s bourgeois(e)s que les gens comme nous effraient. Alors on nous en¬ trave, on nous isole, on nous torture comme un vieux relent du passé. On tue la contesta¬ tion par la privation des droits les plus élé¬ mentaires. Et même pour ces droits, il faut se battre et contester. On se mord la queue ! Christine serait d’accord avec moi. Bien sûr qu’il faut soutenir les Femmes. Moi qui croyais que du côté des Hommes on vivait un viol permanent, je constate que c’est pire « chez » elles. Du coup, le numéro de L’Envolée de juin m’a inspiré un dessin, même deux, que je joins à la présente. Car au-delà du fait (et des faits pé¬ naux) que je dessine, je suis (et persiste) un « rebelle à l’ordre établi », un rebelle numé¬ rique, mais ne pouvant pas m’exprimer depuis un clavier (je ne dois pas approcher un PC), j’exulte par le dessin. J’ai d’ailleurs créé le per¬ sonnage « Zonzon ». Donc, sur les deux planches jointes, celle signée Zonon est pour Moreno Itziar à Fresnes et ses colocataires unies dans leurs combats, l’autre est pour vous puisque c’est ce qui en ressort de ma lecture. Et comme le dit Gaëtan dans son courrier (pu¬ blié), il faut plus de parité dans l’Envolée, donc je suis à votre disposition en cas de besoin ! Et encore comme lui, « le pirate, j’en fais mon em¬ blème » car « nous sommes légion ! ». Enfin, n’oublions pas que la volonté reste le pri¬ vilège des Forts, et les Fort(e)s c’est nous, et non pas celles et ceux qui, pendant la Révolu¬ tion, ont perdu la tête... nous, nous gardons l’es¬ prit!!! Bien à vous toutes et tous ! A prestu Forze ! A plus Michel 8 CHAIR À CANON Lit Jt !!l 1 1 Las P fccs £ çe> cmt£z r*. v;©\«f*ÿ ^ *•<- je ft’éouh fvi O proférerait « des menaces à l’encontre des per¬ sonnels des établissements pénitentiaires, notam¬ ment celui de Saint-Martin-de-Ré. Ce courrier contient des propos menaçants et outrageant contre les personnels et les établissements péni¬ tentiaires et plus généralement contre la société française. » Cette censure a été suivie d’un compte rendu d’incident. Gaëtan a évité par deux fois le passage en commision disciplinaire, pour raisons médicales. La procédure serait dés¬ ormais suspendue. Nous restons vigilants, et nous continuerons à défendre la libre parole des prisonniers qui dénoncent leurs enfermeurs. Pour l’instant, vous trouverez plus bas quelques éléments d’information sur Saint-Martin-de-Ré. SAINT-MARTIN-DE-RÉ : ANTICHAMBRE DU BAGNE Saint-Martin-de-Ré est une des plus grosses maisons centrales de France : 485 « places ». Le « plus grand employeur de l’Ile-de-Ré » avec 285 salariés. Dans le film « A l’ombre de la Ré¬ publique » de Stéphane Mercurio (2009), outre l’horreur de leurs conditions de détention, les prisonniers dénonçaient déjà le comportement des surveillants de l’équipe 4. Le directeur de l’époque, Jean Letanoux, est allé jusqu’à décla¬ rer publiquement qu’il n’arrivait pas à contenir cette équipe de brutes. La même année, dans son rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté Jean-Marie Delarue avait sobrement signalé « une équipe de surveillants apparemment plus rigoureuse que les autres ». Des fachos qui font chier tous les prisonniers, mais particulièrement les arabes, les gitans et tous ceux qui sont un peu trop pigmentés. En plein accord avec leurs organisations syndi¬ cales, comme le montre la réponse du syndicat des matons SPS au Phare de Ré, un canard local qui avait osé « tirer à boulets rouges sur l’équipe 4 » : « Ce jour, n’en déplaise aux scri¬ bouillards, aux bien-pensants ou aux emmer- deurs, nous sommes tous des surveillants de l’équipe 4 ! » Dans le même genre, la section FO pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré s’était permis de diffuser en 2013 un texte injurieux et mensonger intitulé « Prime à la vermine et à la racaille » pour exiger le déclassement d’un prisonnier présenté comme « une bête féroce, un fou dangereux ». (Il s’agit de Rachid Bou- bala, dont il a longuement été question dans le N°43 du journal, et qui a porté plainte contre FO.) Les prisonniers qui reprochent toujours des « abus de pouvoir répétés » à une quinzaine de surveillants ont parfois clairement fait l’objet de punitions collectives. Devant la taule, on en¬ tend : « Ils foutent la pression sur les détenus et leurs familles. Les fouilles, les réflexions, les bri¬ mades... Faut pas pousser les gens à bout, là c’est vraiment dégueulasse. » Côté presse, ces temps-ci, on préfère s’apitoyer sur les suicides et les tentatives de suicide parmi les surveil¬ lants ; mais aussi faire écho à leurs prises de po¬ sition sur les prisonniers musulmans. Il semble bien que certains surveillants de cette centrale - matons de père en fils depuis des générations pour certains - se sentent très à l’aise dans l’at¬ mosphère de traque antiterroriste aux relents islamophobes et racistes qui règne en ce mo¬ ment dans le pays. En avril dernier, le délégué syndical régional UISP-FO se faisait martial : « Nous sommes en guerre contre Daesh ! [...] On laisse des imams endoctriner des détenus ! » À les en croire, il y a eu une « mosquée clan¬ destine salafiste » associant prières et fabrica¬ tion d’armes dans les « casinos », ces baraquements des années 1980 où les prison¬ niers se retrouvaient par affinités pendant les heures de promenade. Du coup ils sont en train de les démolir pour les remplacer par « une salle multi-activité sécurisée, vidéosurveillée, et avec des activités encadrées ». Déjà en 2009, le rapport du contrôleur des lieux de privations et des libertés relevait qu’« un aumônier musul¬ man vient en principe le jeudi après-midi. [...] Il ne serait pas venu depuis cinq mois ». Le di¬ recteur précisait que « l’aumônier musul¬ man [...] peut être absent plusieurs mois » ; et d’après des propos entendus au parloir, l’accueil de certains matons n’y était pas pour rien. 12 MORT D’ADAMA : ON CONNAÎT LA VÉRITÉ ! Il n’y a pas qu’aux USA qu’une police au service d’un ordre social violent et raciste tue (voir p.30). En France, elle fait plus de dix morts par an et la plupart sont passées sous silence et restent sans suite. Dans des cas rarissimes, un flic qui a tué se retrouve devant un tribunal après des années de lutte acharnée des proches contre toute la machine étatique ; mais c’est invariablement un nondieu qui finit par être prononcé. C’est toujours la même : l’Etat commence par mentir sur les circonstances de la mort, invente des soucis de santé, des causes toxicokv giques, et taille un costard de dangereux voyou à la victime pour inverser les rôles. Tous ceux qui s’empressent de dé' noncer le racisme et la brutalité de la police ricaine ont du mal à regarder ce qui se passe ici du même oeil. Il n’y a que la ténacité des proches et de collectifs qui s’organisent contre la violence d’Etat pour gripper un peu ces méca^ nismes implacables. Pour qu’au moins la vérité soit dite. Aucune condamnation n’a jamais fait revenir personne, mais l’impunité systématique des assassins en uniforme vaut pour une reconduction de leur permis de tuer. Le 19 juillet dernier à Beaumont-sur-Oise. Adama rentre au quartier à vélo. Il s’apprête à fêter ses 24 ans. Depuis trois ans maintenant, c’est les gendarmes qui sont chargés du maintien de l’ordre dans cette petite ville calme de la grande banlieue parisienne faite de pavillons et de tours de cinq étages max. Le harcèlement y est pourtant le même que dans des zones dési¬ gnées comme « sensibles ». La mairie a appelé Adama le matin même pour qu’il vienne récupé¬ rer ses papiers d’identité nouvellement refaits. Il n’aura plus jamais l’occasion d’aller les chercher. Alors qu’il voit son frère subir un énième contrôle, il se barre à toute blinde histoire de pas passer son anniversaire au poste. Rattrapé, il meurt un peu plus tard dans les locaux de la gen¬ darmerie. Sa mère n’apprendra son décès qu’après de longues heures d’attente. Il aura fallu que des proches se rassemblent devant la gendarmerie pour exiger de le voir et que, la ten¬ sion montant, les gendarmes finissent par oser un : « Si on vous annonce quelque chose de grave vous n’allez pas le prendre mal ? » Dès le lendemain, le procureur aux ordres dégaine la première version officielle : « crise cardiaque ». Après une autopsie bidon, la crise cardiaque finit par se transformer en « infection grave de tous les organes ». Deux morts bien fulgurantes pour un jeune homme que tout le monde sait méchamment sportif. Tout était pourtant bien ficelé : le proc donnait une version officielle pour couvrir les meur¬ triers ; le doc avalisait et précisait le mensonge ; les clébards médiatiques relayaient ; la justice n’avait plus qu’à passer pour effacer les der¬ nières traces. Dommage pour cette fine équipe, ce coup-ci elle est tombée sur un os. Le quartier flambe. Le préfet convoque une conférence de presse à la mairie qui est investie par les proches d’Adama venus dire leur vérité à des médias qui ne s’étaient déplacés que pour le feu. Des proches d’autres victimes de la brutalité policière viennent à Beaumont pour appuyer et conseiller la famille. Celle-ci refuse les visas et les vols pré- cipitament offerts pour enterrer le corps en urgence au Mali, genre : « on sait bien que chez vous, les musulmans, on doit enterrer le corps rapidement. » C’est nouveau, ça, que l’Etat en ait quelque chose à foutre des obligations religieuses. Belle manière surtout d’enterrer une affaire en même temps qu’un corps, mais la ficelle est trop grosse. Tout le monde a compris qu’il fallait se battre : réclamer le corps, obtenir une contre- autopsie, dire sa vérité - la vérité - au plus grand nombre. Affronter l’Etat et ses mensonges. Des rappeurs, des sportifs, des militants affirment leur soutien ; certains se déplacent, quelques médias s’intéressent de plus près à l’histoire. Mais surtout, les proches organisent des manifesta¬ tions, des marches, des repas. Il y a du monde. 13 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 ZOZ>0 A chaque fois, la mobilisation est forte alors qu’on est au cœur de l’été. Nombreux sont ceux qui refusent de laisser le mensonge triompher dans le silence et tuer Adama une deuxième fois. C’est cette détermination qui va progressivement permettre à la vérité d’émerger. La contre-autopsie ne révèle aucune trace d’in¬ fection : le jeune homme est mort d’un syndrome asphyxique. Comme dans la première autopsie, en fait, sauf que le procureur n’avait pas insisté sur ce point... Puis les dépositions des gendarmes responsables de cette mort sont ren¬ dues publiques, et elles sont glaçantes. Ils reconnaissent qu’ils ont pratiqué un « plaquage ventral », qu’ils ont entendu leur proie se plain¬ dre de difficultés à respirer mais se sont ensuite mis à trois sur son dos pour le maîtriser en l’écrasant de tout leur poids ; qu’ils ont constaté qu’il perdait connaissance dans la voiture, qu’il venait de se pisser dessus. Plutôt que de le conduire à l’hôpital situé à même pas 500 mètres, ils ont tout de même décidé de l’amener à la gendarmerie pour lui faire signer son placement en garde à vue. Là, ils le laissent à terre dans la cour, menotté, suffoquant. Ils finissent quand même par appeler les pompiers, prétendant qu’ils l’ont placé en position latérale de sécurité et que son pouls est stable. Mais un pompier ne tardera pas à donner une version bien différente : arrivé sur les lieux, il a trouvé Adama face contre terre, menotté dans le dos, inanimé. Personne ne lui a porté le moindre secours. Les gendarmes rechignent encore à le désentraver, le traitant de simulateur; ils s’in¬ quiètent plutôt d’appeler des renforts parce que ça risque de « partir en cacahuètes ». Comme le dit Assa, la sœur d’Adama, « ils pouvaient l’ai¬ der à vivre, ils l’ont aidé à mourir. » La mobilisation, exemplaire, a eu des consé¬ quences concrètes. Le proc, trop mauvais menteur, a été déssaisi de l’affaire et déplacé. Les gendarmes ont été mutés, bien sûr, et leur avocate s’est même permis de dire, sans honte, que « pour eux aussi les conséquences ont été terribles »... mais ils ne sont toujours pas mis en examen. La famille se bat pour qu’ils le soient ; c’est une première étape pour que le crime soit reconnu. Au-delà d’une éventuelle condamnation pour la mort d’Adama, ils veu¬ lent aussi obtenir l’interdiction de la technique du plaquage ventral. Pour qu’il ne soit pas complètement « mort pour rien ». Déjà proscrit dans de nombreux pays, le pla¬ quage ventral est une pratique enseignée et utilisée en France. La loi l’autorise pour la durée « la plus courte possible ». En 2010, le rappor¬ teur du comité des nations unies contre la torture se disait préoccupé que cette technique soit toujours utilisée, et la Revue médicale suisse la décrivait ainsi en 2011 : « Position corporelle entravant l’échange de gaz, impossibilité de se libérer de cette position [...] exclusion d’autres cause possibles de décès. » Selon le rapport de l’Acat 1 , suite à l’asphyxie causée par cette tech¬ nique, « toute pression exercée dans le dos de la personne qui se trouve dans cette position accroît encore la difficulté à respirer. L’agent de la force publique exerce une pression ou com¬ pression supplémentaire compromettant davantage ses possibilités de respirer. » Se débatttre, c’est la réaction naturelle d’une per¬ sonne en train d’étouffer. Au cours des recherches qui ont abouti à la rédaction du rap¬ port, cette association a recensé au moins trois précédents décès dûs à cette pratique : Lamine Dieng est mort à 25 ans en 2007 à Paris, Abdel- hakim Ajimi, 22 ans, à Grasse en 2008. Amadou Koumé est mort à 33 ans lors d’un contrôle d’identité à Paris. L’association précise qu’il n’y a aucune statistique officielle sur lesquelles s’ap¬ puyer pour un travail exhaustif... Il y en a sans doute eu d’autres, auxquels il faut ajouter un nouveau décès survenu le 22 janvier 2016 : à Béziers un homme éméché, en caleçon, pieds nus dans la rue est interpellé par sept flics nationaux et municipaux... il ne rentrera plus chez lui ! Autre pratique tout aussi dangereuse : le pliage, qui consiste à maintenir une personne assise, la tête appuyée sur les genoux. Très pratiquée lors des « reconduites à la frontière », elle a été inter¬ dite suite à la mort de deux personnes lors de leur expulsion : le 30 décembre 2002, Ricardo Barrientos est mort après avoir été maintenu dans cette position pendant près de quarante minutes ; zélés, les keufs maintenaient une pres¬ sion supplémentaire sur ses omoplates... En janvier 2003, Mariame Getu Hagos n’aura mis que quinze minutes à mourir dans cette posi¬ tion ; il faut préciser que le chef d’escorte s’était mis debout sur ses épaules pour l’obliger à rester tranquille. Quand on aime son métier, tout est permis ! Suite à ces décès, cette technique a été 14 mis sur son dos pendant que son collègue lui pratiquait une clé d’étranglement. Arrivé sur place dix minutes plus tard, le père de Serge n’a pu que repousser le flic du dos de son fils, mais trop tard: « Serge saignait par les yeux et la bouche. » Dans son livre La mort est mon métier , Robert Merle décrit le parcours de Rudolf Hoess, jeune nazi devenu commandant du camp d’Auschwitz. Au cours de son procès à Nuremberg, ce dernier expliquait qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres, qu’appliquer les consignes en professionel. Flic ? Un métier comme un autre, pourrait dire Robert Merle aujourd’hui. 1/ Rapport de l’Acat sur les violences policières, « l’Or¬ dre et la Force », mars 2016. SOLIDARITÉ AVEC LES PROCHES D’ADAMA Il ne fait pas bon dénoncer les crimes policiers en France. Black M - qui n’est pourtant pas réputé pour ses prises de position politiques radicales - en a fait récemment l’expérience. Dans un de ses derniers clips, il porte un tee-shirt « Jus- tice pour Adama, sans justice vous n’aurez jamais la paix » dans un morceau où on le voit même danser avec des flics comme un citoyen comme les autres mak gré son fort taux de mélanine. Les chaines M6 et W9 ont pourtant décidé de flouter le tee-shirt en question au nom de l’exigence de neutralité d’une chaîne familiale de divertissement. Ils sont moins regardants quand il s’agit d’accueillir les déblatérations fascistes de Zemmour ou des syndicats de porcs. Saluons Nasme, qui le porte sur scène lors de ses concerts. Plus préoccupant : la plainte pour incitation à la violence et appel au meurtre contre les personnes dépositaires de la force publique déposée par le ministère de l’intérieur contre Jo le Phéno, un jeune rappeur du quartier des Amandiers dans le vingtième ar¬ rondissement de Paname - là où en 2007, Lamine Dieng a succombé à la même technique policière d’immobili¬ sation qu’Adama. Jo est poursuivi pour le clip « Bavure » sorti mi-août. Le morceau ne fait pas explicitement référence à Adama ; il dit lui-même que c’est délibéré, par respect pour sa famille endeuillée ; on y voit quelques flics du quartier en intervention et une fresque en hommage à Lamine Dieng, d’ailleurs effacée depuis par la mairie. Dans un esprit très « Sacrifice de Poulet », Jo y sort quelques punchlines plutôt jouissives : « Trop de nos frères sont partis à cause d’une bavure policière, leur donner du respect, éviter. Sans hésiter, il faut les fumer. » Ça suffit pour être mis en garde à vue et entendu dans le cadre de l’instruction. Depuis, il subit le harcèlement des patrouilles du coin qui comptent bien lui faire payer ses fantasmes vengeurs. Comme le dit Assa dans ses interviews, marrant à quel point en France, « Je suis Charlie » se mute bien vite en « Je suis censure » dès qu’on touche aux keufs. Mathieu Rigouste et Youssef Louati qui devaient animer une rencontre-débat à la fac d’Evry sur le thème « Mais que fait la police ? » s’en sont vu interdire l’accès. Une interdiction décidée en haut lieu : pas question de contrarier les milices armées qui commencent à manifester de nuit. Le combat contre la machine d’Etat coûte cher. Un des moyens de le soutenir, c’est d’acheter le tee-shirt flouté dans le clip de Black M sur la page FB « La vérité pour Adama », gérée en direct par la famille. 15 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 JUSTICE POUR ADAMA ) VENEZ NOMBREUX CE 22 JUILLET 2016 - 17 H R0V AU TERRAIN 0E F00T DU QUARTIER 80YENVAL GARE : PERSAN BEAUMONT ■ ■■■■ interdite... pour les reconduites à la frontière, mais d’autres fonctionnaires ont pris la relève malgré une instruction de l’IGPN datant de 2008 qui interdisait cette technique dans toute intervention de police (mais l’Acat n’a pas pu avoir accès à ce document). En 2009, Ali Ziri est mort à 69 ans, plié dans la voiture qui le condui¬ sait au comico d’Argenteuil. Un rapport de l’IGPN atteste que c’est l’emploi de cette tech¬ nique qui a causé la mort de Wissam El Yamni en 2012. Il n’y a que l’embarras du choix entre toutes les techniques policières qui peuvent s’avérer mortelles. On peut même les combiner. Autiste de 43 ans, Serge Partouche se promenait à Marseille dans le quartier de ses parents ; une voisine vigilante l’a trouvé « menaçant ». Trois flics ont plaqué Serge au sol et l’un d’eux s’est zoz>n >' i-">so CHAIR À MATON CHRISTINE : RÉBELLION LES MAINS DANS LES POCHES Récit de son procès du 27 juillet 2016 pour « rébellion et violences » contre des surveillant-e-s Les lecteurs de l'Envolée connaissent bien Chris¬ tine car le journal suit et soutient cette bergère depuis le début de son itinéraire pénitentiaire. Entrée en prison fin 2012 pour une courte peine, son refus de courber l’échine devant les brimades de la matonnerie lui a valu de nombreuses puni¬ tions intérieures et une accumulation de peines de prison supplémentaires. Quand on lui demande pourquoi elle n’essaierait pas d’éviter les conflits, elle répond qu’elle ne se prend pas des CRI (compte-rendu d’incident), des jours de mitard, des mois supplémentaires pour le plaisir, mais que lorsqu’elle fait profil bas, ça ne sert à rien ; pas même à améliorer sa relation avec la matonnerie, qui lui dit tout de même : « On n’est pas chez Darty, il n’y a pas de contrat de confiance ! On est dans une relation d’autorité et tu t’y soumettras de gré ou de force. » De transfert en transfert, Christine a atterri au centre de détention de Roanne en mars 2016. Comme dans d’autres prisons auparavant, une série de conflits survenus d’avril à juin avec des surveillants l’ont conduite devant le tribunal le 27 juillet. Nous étions là pour l’écouter et la sou¬ tenir. Parce que Christine ne parle pas le même langage que la cour qui l’accuse, elle nous permet de comprendre le fonctionnement de la détention, comment et pourquoi dégénèrent les conflits, comment et pourquoi certains et certaines ne sor¬ tent plus... L’institution judiciaire n’aime pas que les accusés prennent la parole pour contrarier l’ac¬ cusation, en particulier quand ça vient de prisonnières revendicatives ! Ce discours est illégi¬ time pour la Cour, qui l’allumera une fois de plus. Libérable au 16 décembre 2016, Christine sera, à la fin de ce procès, condamnée à un an de pri- 16 « Mains dans les poches, j’essaie juste de ne pas rentrer en cellule » son supplémentaire dont six mois avec sursis et mise à l’épreuve. Elle comparaît pour une dizaine de plaintes déposées contre elle par des matons de Roanne pour « rébellion et/ou vio¬ lences sur personne dépositaire de l’autorité publique » sans ITT ou avec des ITT inférieures à huit jours. Elle est aussi accusée de refus de prélèvement d’empreintes (digitales, photo...) lors de la garde à vue. nous allumer ? Quel poids la parole de Christine - et des autres - peut-elle avoir devant un tribu¬ nal ? On ne fera jamais entendre à un juge que nos réactions face aux agents de l’Etat sont légitimes. Cela dit, l’expérience montre que ce n’est pas parce qu’on tient tête au tribunal, même si c’est risqué, qu’on va automatiquement prendre plus cher ; ce n’est pas parce qu’on va dans son sens qu’il sera forcément clément... Mais ça dépend ! Mise en scène standard La juge énonce une série d’infractions dont Chris¬ tine serait l’auteur et lui demande de s’expliquer. Christine en profite pour raconter chacune des disputes en question, expliquer comment ça se passe : pourquoi elle refuse de se soumettre à cer¬ tains ordres, et comment ça dégénère. Elle tient d’abord à préciser la règle qu’elle s’est donnée : « Je ne vais jamais au contact physique la pre¬ mière. Jamais. Quand il y a un problème en détention, je le signale aux surveillants. Si rien ne se passe, éventuellement, je fais un blocage. Mais je ne vais jamais, jamais, au contact la première. » Elle dit aussi qu’à Roanne, elle s’est « retrouvée outil dans une guerre entre certains surveillants qui veulent selon eux se battre contre la voyoucra- tie - ceux qui veulent juste être les plus forts », et « une direction qui tente d’avoir la paix en déten¬ tion ». Certains surveillants ont régulièrement provoqué Christine parce qu’ils ne supportaient pas ce qu’ils voient comme des « privilèges » : ne pas être placée à l’isolement après le mitard, voir sa nièce en UVF... En fait, elle avait juste obtenu quelques droits élémentaires en négociant avec la direction. Ça a déplu aux matons les plus zélés, et la violence est montée au fil de leurs provocations. Christine tient à préciser systématiquement le contexte, en détail - au grand agacement de la juge qui la somme fréquemment de « s’en tenir aux faits et d’aller à l’essentiel ». Elle ne parle pas la langue de ses bourreaux - le langage judiciaire ; son récit est explicite pour qui veut l’entendre, c’est pourquoi nous le relayons ici le plus fidèle¬ ment possible. La justice reproche des actes illégaux à Christine, qui donne ses raisons : elle refuse d’obéir aux ordres quand elle les juge abu¬ sifs. Nous ressortons du procès avec l’éternelle question : comment s’en sortir au mieux dans l’éternel rapport de force avec des institutions - et une corporation - très puissantes ? À quoi bon tenter d’expliquer à ceux qui ne sont là que pour Première dispute : le coup de fil L’accusation (AKA Mme la présidente) : - Madame Ribailly, le vendredi 29 avril, vous résistez à la réintégration en cellule, deux surveil¬ lantes sont blessées et subiront une ITT de deux et trois jours. Qu’avez-vous à nous dire à ce sujet ? Christine : - J’étais au QD (quartier disciplinaire). Le lundi 2 mai, je devais avoir une audience en appel à Paris, je devais joindre mon avocat, ce qui est notre droit quand on est au QD. Le médecin est venu me voir lorsque j’étais en promenade, j’ai dit que je n’allais pas bien ; le médecin n’a pas voulu entrer dans la cour. Il m’a dit de venir à l’in¬ firmerie, mais personne ne m’a amenée à l’infirmerie. - La surveillante déclare que vous avez bien vu le médecin... - Quand on va voir quelqu’un au mitard, c’est pour une visite médicale, pas pour aller au zoo voir quelqu’un derrière une grille. Evidemment, ça ne m’a pas fait plaisir. J’ai pris le temps de me cal¬ mer, puis j’ai sonné à l’interphone pour demander à téléphoner à mon avocat. Les surveillantes m’ont laissé sonner vingt minutes sans venir. J’ai déclenché l’alarme incendie - sans mettre per¬ sonne en danger. Elles ont vu qu’il n’y avait pas de feu, alors elles ont coupé l’électricité. Au bout de deux heures elles ont répondu, et m’ont dit que j’irais téléphoner à 18 heures. Quand ils ouvrent pour le repas, vers 18h30, je sors de la cellule les mains dans les poches, je me dirige vers le télé¬ phone [dans le couloir], sans aucune violence. - Vous reconnaissez que vous n’obéissez pas aux ordres... - À partir du moment où ils font leur travail cor¬ rectement, y a pas de problème. On est vendredi. Si je n’appelle pas mon avocat à ce moment, je ne peux pas lui parler avant mon extraction le lundi. Je sais qu’à 19 heures, le téléphone sera coupé. Je sors parce que c’est LE moment où je peux télé¬ phoner. 17 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 « Je voulais juste passer mon week-end tranquille à tricoter » - Quand vous étiez au sol, vous avez attrapé la cheville du gradé pour l’empêcher de partir. Une surveillante dit qu’elle a été blessée au bras alors que vous repoussiez la grille... - Mains dans les poches, j’essaie juste de ne pas rentrer en cellule, il n’y a pas eu de volonté de faire mal de leur part ce jour-là - c’est assez rare pour le noter. Je n’ai commis aucune violence, j’essayais juste de leur expliquer le problème. Ils m’ont mise par terre sans violence. J’ai juste retenu la grille. J’ai dit à la surveillante : « Atten¬ tion, laisse pas ton bras, ils sont en train de pousser, tu vas te faire mal ! » Je ne suis pas res¬ ponsable, ce sont ses collègues. Le bricard, j’ai juste tenu sa cheville pour qu’il m’écoute, j’ai pas crié, j’ai pas insulté. On a juste discuté jusqu’à ce qu’ils me disent « c’est 19 heures ». C’était trop tard, j’ai lâché. En fait c’était 18h50. Le bricard est revenu, il a admis qu’il y avait eu cafouillage et m’a promis que je pourrais télé¬ phoner le lendemain matin. Ça me fait une belle jambe, l’avocat ne travaille pas le samedi ! Il n’y a même pas eu de CRI (compte-rendu d’inci¬ dent) pour cette histoire. Deuxième dispute : la télécommande La deuxième série de plaintes fait suite à une fouille de cellule après laquelle Christine retrouve sa cellule sens dessus dessous, télévision allumée et télécommande introuvable - elle la retrouvera plus tard... cachée dans sa taie d’oreiller ! Elle refuse de rentrer en cellule et demande des expli¬ cations, elle est insultée, réintégrée par la force « strictement nécessaire ». Trois matonnes portent plainte, dont une pour avoir été agrippée. Chris¬ tine résume : « Je demande trois fois. Si on ne m’écoute pas, je mets les mains dans mes poches et je dis que je bougerai pas. Eux ils me disent « Bouge ! » trois fois et ils utilisent la violence. » Troisième dispute : la pelote de laine Christine : - Le tricot a un avantage phénoménal quand on est débutante : ça fait passer le temps. L’accusation : - Allez à l’essentiel ! - C’est ça l’essentiel ! Je suis en prison depuis quatre ans, c’est essentiel de faire passer le temps. Des voisines me préparent un sac de laine et demandent à une surveillante de me le faire passer. La surveillante refuse, ce qu’elle niera ensuite dans son rapport. Le problème est là ! Il est dans le manque de respect total et continuel des surveillants. Comme elle a refusé, mes voisines m’ont envoyé la laine en promenade. Une surveil¬ lante veut vérifier la pelote de laine, la confisque et promet de la rendre lors du repas. Mais le bri¬ card ne la restitue pas car il me reproche d’avoir récupéré la laine en promenade [ce qui n est pas réglementaire] au lieu d’avoir demandé à la sur¬ veillante de la faire passer ! Aucune violence de ma part. Au moment du repas, nous nous expli¬ quons à ce sujet avec un surveillant, il me prend par le col. C’est là que je le prends par le col. À la base je voulais juste passer mon week-end tran¬ quille à tricoter ; cette fois, ça a été très violent. Les surveillants entrent dans ma cellule avec les boucliers, me poussent au sol, l’un d’eux me met des coups de poing au sol... J’ai dit à l’OPJ [ïof- ficier de police judiciaire qui Va entendue en garde à vue] que mes voisines pouvaient témoigner pour les pelotes de laine et le mensonge de la surveil¬ lante ; il n’en a pas tenu compte. Quatrième dispute : violence matinale Evidemment, les matons vénères ont réussi à faire placer Christine au quartier d’isolement... Christine : - La loi dit que l’encellulement noc¬ turne dure douze heures. Un matin, la surveillante Gwendoline Pézeron, qui me cherchait particuliè¬ rement la merde, refuse de prendre mon courrier alors qu’on avait convenu que tous les jours, dans une lettre, j’annonçais mes activités et mouve¬ ments de la journée. Mon drapeau était levé depuis 8hl5 du matin. Ils sont capables de me réveiller toutes les deux ou trois heures la nuit, mais ne m’ouvrent pas de la matinée ! J’étais en grève de la parole. Je bouche l’œilleton, car c’est la seule solution pour qu’un bricard vienne m’ou¬ vrir. À midi ils m’ouvrent enfin, je me dirige dans le couloir pour aller à la bibliothèque, ils me tom¬ bent dessus. Benoît David, son avocat : - Vous avez un pro¬ blème avec l’autorité ? - Non, avec l’autoritarisme. Quand le règlement dit qu’on doit m’ouvrir la porte à 7 heures et que dans les faits on m’empêche d’aller en promenade. L’accusation : - Pour résumer vos déclarations, vos attitudes sont dûes au comportement des sur¬ veillants ! Mais le surveillant Venua aurait pris un coup de poing ? -Je ne suis pas sûre de savoir qui c’est, mais quelqu’un que la testostérone rend aussi prompt à frapper n’a sans doute pas voulu porter plainte 18 après s’être pris un coup de poing par une femme. Ce surveillant est un de ceux qui cherchaient la guerre. Le bricard me dit : « Tu vas en prome¬ nade », je passe en cellule juste pour poser un papier, il me ferme la porte dans le dos, je la retiens avec le pied, il me met un genou dans le dos, me plie et gueule : « Tu vas aller au QD trente jours ! » Il est dans la toute-puissance, il se prend pour le directeur à décider ça lui-même ? Je dis : « OK, je prends mon tabac, je vais en promenade, puis je vais au QD, comme ça je vais enfin voir le directeur que je demande à voir depuis long¬ temps ». Il me menotte et m’emmène au QD, pas en promenade. Je menace de me suicider car ils m’ont laissé mes lacets, ils me sautent dessus, deux mecs m’écartèlent, une surveillante me touche la poitrine, je lui dis de ne pas me tripoter, elle conti¬ nue... je la mords, ouais. - Selon le rapport de l’OPJ, la vidéo montre que... - Mais la vidéo montre-t-elle le drapeau avec le pictogramme « téléphone » levé depuis 8hl5 du matin ? - Ça ne fait pas partie de la procédure. En bonus : un refus de fichage Christine est aussi accusée d’avoir refusé de se soumettre aux prises d’empreintes en garde à vue. À la juge qui la questionne sur ses positions de principe contre le fichage, elle répond : « En général je refuse d’être fichée, mais là ils ne peu¬ vent pas me poursuivre pour ça : ils ne m’ont jamais demandé mes empreintes en garde à vue ! Ni si je voulais manger, ni si je voulais aller aux WC, d’ailleurs. » Débats L’accusation : - S’il y avait vraiment un problème du côté de l’administration pénitentiaire, ça arri¬ verait à tous les détenus. Vos problèmes sont liés à votre comportement. Christine : - Je suis en prison depuis novem¬ bre 2012, j’ai fait 620 jours de QD et 160 jours de QI, ma peine se rallonge pour des alterca¬ tions avec des surveillants. Je ne comprends pas à quoi ça sert, à part peut-être à enrichir les vendeurs de cahiers de mots croisés. Et à enri¬ chir quelques surveillants. Je suis bergère. Mon utilité, c’est de fournir aux gens des côtelettes pour qu’ils fassent leurs barbecues l’été. 70 % des détenus n’ont pas de peine interne, mais 30 % en prennent. Quand vous condamnez des gens, c’est à tout ça que vous devez penser. L’avocate des parties civiles et le procureur ne se foulent pas puisqu’ils sont du côté de ceux qui gagnent à tous les coups sans avoir à fournir des preuves ou des déclarations cohérentes. Aveugles et sourds à toutes les démonstrations de Chris¬ tine, ils se bornent à déclarer qu’elle est violente et qu’il faut la sanctionner et indemniser ses « victimes ». Le proc débite des sornettes sur le bien-vivre en société : « Madame Ribailly se croit au dessus des lois. On peut les contester en élisant d’autres représentants, en manifestant... pas en enfreignant la loi. » Il témoigne de son mépris pour le récit de Christine en déformant carrément ses propos : elle aurait déclaré que les surveillants étaient des nazis qui passent leur temps à faire des mots croisés. Christine lui répond : « J’ai jamais dit que tous les surveil¬ lants étaient des nazis mais qu’une surveillante a dit au sujet des prisonniers : " Pour ces gens-là, c’est pas la prison qu’il faut mais des camps, comme ça on les ferait marcher à la schlague ou au fusil mitrailleur. " Elle, j’ai porté plainte contre elle pour ce qu’elle a dit. Où est ma plainte ? [...] Et je n’ai jamais dit que les surveil¬ lants faisaient des mots croisés ! Mais j’aimerais mieux ça plutôt qu’ils interviennent en cellule. » Son avocat affirme que l’enfermement de Chris¬ tine ne sert à rien. Il relève qu’elle avait négocié avec la direction pour éviter fouilles et palpa¬ tions systématiques, qui sont illégales. N’en déplaise aux matons, ce n’est ni un caprice, ni un privilège ! Elle n’a jamais été sanctionnée pour avoir détenu un objet illicite, or la palpation doit en théorie être « strictement proportionnée à la personnalité du détenu ». Donc pourquoi est-elle palpée si souvent ? Pourquoi sa cellule est-elle retournée ? Pour l’humilier. Probablement pour la provoquer. Il prend surtout le temps de relever les nombreuses contradictions et l’absence d’éléments précis dans les dépositions des surveillant-e-s. Par exemple, l’une d’elles, Padé, demande réparation pour une douleur à l’épaule alors que sa déposition ne fait état d’aucune violence de Christine à son égard ; deux autres déclarent dans leurs dépositions que « deux surveillants sont blessés » sans jamais décrire de violence de la part de Christine. Gwen- doline Pézeron aurait été griffée et blessée au poignet selon son avocate - qui réclame 1 000 euros -, mais on ne voit aucune griffure sur 19 LENV0LÉE N45/N0VEMBRE 2016 Z OH>2 >' « À quoi ça sert à part à enrichir les vendeurs de cahiers de mots croisés ? » les photos. Sur des vidéos, on voit Christine parler calmement et se faire repousser en cellule, par exemple avec Monsieur Venua, ou Madame Péze- ron qui donne un coup de pied dans sa direction parce qu’elle l’exaspère. La surveillante Mouille- ron déclare qu’elle ne sait pas qui l’a blessée dans le tumulte, mais à six contre une, c’est forcément Christine la coupable, etc. Toutes ces incohérences sont pointées par le défenseur de Christine : « On a affaire à des scènes de guerre extrêmement graves ! Mais il n’y a rien de crédible dans les rap¬ ports. Rien. » Verdict Christine est relaxée pour le refus de prélèvement. Pour le reste, le vide ridicule du dossier, les argu¬ ments de la défense, rien n’y fait. Elle est reconnue coupable de tout et condamnée à douze mois d’enfermement dont six avec sursis et mise à l’épreuve - c’est-à-dire que lorsqu’elle sortira enfin, elle subira encore de nombreuses obliga¬ tions (de soins, de suivi...). Trois surveillantes recevront des chèques de 100 à 600 euros, une autre attendra une audience ultérieure pour tenter elle aussi sa chance au grattage. « POUR ME RETIRER TOUT ESPOIR DE LIBÉRATION » Prison de Condé-sur-Sarthe, le 19 juin 2016 Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas donné de mes nouvelles ; désormais je suis dans le QI des QI, à la centrale de Condé-sur- Sarthe, sous des mesures drastiques depuis neuf mois bientôt : menottage dans tous mes mouvements avec au minimum quatre agents équipés, fouille au corps avant et après chaque parloir et mouvement de promenade entre 10 et 11 heures puis entre 17 et 18 heures. Alors qu’avant d’arriver ici, j’ai passé trois mois à Fleury avec levée d’une partie des mesures : trois agents équipés et plus de menottes suite à l’article de l’OIP sur le harcèlement et les condi¬ tions de soins médicaux inaccceptables que je subissais, trois mois plus un transfert sans in¬ cident nouveau si ce n’est des lettres de protes¬ tation histoire de laisser se tasser les choses, puis Madame la grande perverse de la DAP m’a remonté les mesures pire qu’au départ. Même les rondes DPS sont plus fréquentes la nuit, et le S de DPS, pour moi, n’est pas synonyme de suicidaire mais de surveillé ; très surveillé même ! Mi-février je vois le directeur M. Chapu, qui me dit qu’il va assouplir mes me¬ sures, puis deux ou trois jours plus tard un dé¬ tenu tabasse un surveillant à coups de pot de Nutella. Les agents m’informent qu’à cause de ça le climat n’est plus favorable à la levée de mes mesures... Le détenu, lui, ne fera l’objet d’aucune mesure de menottage, mais les agents seront désormais équipés pour lui. Le mardi 3 mai 2016, mes mesures sont assouplies : les agents ne seront désormais plus équipés ; dixit le gradé, c’est à leur demande - mais tout le reste subsiste. Je me demande sur le coup si ces pervers n’ont pas perdu le mode d’emploi... Mais qu’avec moi, vu qu’avec les trois autres dé¬ tenus du QI pour qui il y a des mesures pour suspicion d’agressions imminentes ou récentes, c’est équipement sans menottage ! Pour tous, jusque-là, ça a toujours été : d’abord on leur en¬ lève les menottes, puis les agents se déséqui- pent par la suite, puis ils réduisent le nombre, puis sortie du QI. La dame de l’OIP m’a dit que chaque cas est différent - alors dans ce cas, y aurait plus de raison de faire valoir des juris¬ prudences. Bref ; trop de coïncidences ne sont plus des coïncidences. Ils ont décidé de pousser le harcèlement au max du truc, à l’abri des re¬ gards, et de soulager les agents vu qu’aux dires de tous, officieusement le risque direct de vio¬ lence est minime. A noter : les dernières vio¬ lences sont de janvier 2012, suivies d’un courrier du 25 décembre 2013 où j’informe l’AP que c’est fini, la violence défensive. Au¬ jourd’hui, je continue à purger les quinze ans qu’ils m’ont rajouté en l’espace de six mois à un an de ma sortie pour me retirer tout espoir de libération ! Voilà pour les news du chtar ! MOHAMED 20 CHAIR À CONDAMNATION À PROPOS DU PROCÈS EN APPEL DE KAMEL Condamné en première instance par la cour d’assises de Valence à vingt-cinq ans ferme en juin 2014, Kamel Bouabdallah passait en appel à Grenoble à la fin du mois de juin de l’année 2016* Sa peine a été ramenée à quinze ans* Nous publions ici le compte-rendu de ce procès rédigé par son collectif de soutien Kamel-Libre ainsi que le témoignage d’une intervenante en prison devenue son amie. DEPUIS LES BANCS par le collectif Kamel-Libre Kamel écrit beaucoup, pour se donner du cou¬ rage et rester avec les autres, dedans et dehors. Il écrit ceci : « Tout passe, seuls les surveillants et les murs restent à leur place. » Il écrit encore : « La prison ne sert à rien, elle est un moyen de sanction archaïque, bien plus cruel en vérité, bien plus violent que la violence elle-même, car c’est une violence continue. Il est inhumain d’en¬ terrer un être humain. » Nous sommes quelques- uns à avoir suivi son procès aux côtés de sa famille. Ce qui suit est un compte-rendu inexact car subjectif, autant que le jugement rendu ces jours-ci, duquel on ne peut dire grand-chose - sauf qu’il reflète exactement un pan de la so¬ ciété de classe, de race, de vengeance héritée des siècles passés. D’un procès aux assises qui dure trois jours en¬ tiers, on retient d’abord le décor. Le tribunal mo¬ derne, bâtiment froid posé au centre du nouveau quartier des affaires de Grenoble. La cour d’as¬ sises d’appel se trouve tout au fond du bâtiment 21 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 « Est-ce que vous pensez que des années de prison vont effacer leurs souffrances f » Kamel vide et gigantesque, à pied c’est long. On repasse plusieurs fois par jour les checks-points avant d’atteindre ses maudits bancs en bois, qui sem¬ blent récupérés de la messe. On se lève quand le greffier qui tourne en rond dans la cage nous l’or¬ donne et nous le regardons ébahis. Trois jours où on assiste à l’exposé de souf¬ frances, de traumatismes, de peurs, de ruptures dans l’existence par « les victimes » et leurs avo¬ cats. « J’appelle ça théâtre quand je vois mon psychiatre. » Une victime revient s’asseoir après sa déposition à la barre et demande à la personne à côté d’elle : « J’ai été bien ? » Moi, j’appelle ça « cinéma » quand un enfant capricieux réclame ce qu’un autre enfant possède et que lui n’a pas. C’est qui qu’a les cicatrices les plus profondes ? La victime n°l raconte que Kamel s’est fait soi¬ gner avant lui à l’hôpital et qu’elle a laissé faire. La victime n°6 a un cancer. Son avocat laissera entendre que Kamel en est responsable. La question, c’est comment peut-on en arri¬ ver à de telles accusations ? Et pour se soulager de quoi ? Les victimes sont dans une logique de vengeance. Elles vivent pen¬ dant ce procès leurs quinze mi¬ nutes de gloire. Au cours des quelques interrogatoires menés par la présidente à l’atten¬ tion de Kamel, elle lui demandera de cesser de répondre à ses questions par des questions. À croire qu’elle n’accepte pas le retour à l’expédi¬ teur : « Est-ce que vous pensez que des années de prison vont effacer leurs souffrances ? Que vous faut-il encore ? Ma vie ? » Où l’on entendra parler d’argent. Parce qu’il en est question tout au long du procès. Le dieu est ici fer¬ raille dans la lignée des braquages à la Foir’Fouille et Brico Dépôt, où cuvent des fonds de caisse sans roulement. C’est dans un bureau de tabac qu’une cliente à laquelle un des deux braqueurs tente de prendre le billet de 20 euros que celle-ci tend à la caissière au moment où, flingue sur la tempe, elle résiste jusqu’à déchirer le billet. À qui peut-on re¬ procher de trop aimer le blé ? « C’est l’argent Ma¬ dame, je voulais reprendre la vie à zéro. » Seul l’accusé aura à se justifier de son rapport contro¬ versé au dieu argent, pas la personne qui s’agrippe à l’autre bout du billet. Il raconte : « Je ne savais pas gérer mes émotions, je n’avais pas la notion de propriété, je n’avais pas la notion ni de bien ni de mal. » Les propos de l’un des deux jeunes bra¬ queurs à l’un des deux flics auxquels ils sont confrontés lors du casse revient à l’assistance : « Laisse-moi partir - pour 1 400 euros par mois... » C’est le début d’un dialogue que le flic refusera toujours à l’accusé. Il n’y a pas de passage entre un monde et l’autre. Kamel dit encore : « Je ne volais pas comme un bandit qui sait ne pas se faire attraper. » Cela ne semble pas résonner comme une interrogation à l’ombre portée du monde qu’il récuse naïvement. Ici, il y a les bons et les méchants. La complexité est bannie. Pour aller avec les bancs en bois et la cérémonie, on fait descendre un écran qui tombe sous le buste de Marianne, on nous montre un plan de situation. Ça devient sé¬ rieux comme dans les séries télévisées, mais pour faire plus vrai, on fait passer les armes entre les mains des jurés. Ça, ça impressionne. Un expert en balistique en¬ tame une démonstration. Pour prouver quoi ? L’ab¬ sence de preuve, flagrante. Il n’y a pas eu de re¬ constitution, un téléphone retrouvé à côté du premier commerce n’a jamais été analysé, et puis il y avait un troisième flingue. Pourtant, rien ne sera aujourd’hui remis en question et c’est sur ces éléments précis que porteront l’ensemble des dé¬ bats. Froids. Comme la vengeance. « Je vais mourir en prison, je vais devenir fou. » Avant la première instance, Kamel a tenté de prendre en otage la directrice d’une prison, cette dernière n’est pas là pour raconter la scène, pour se questionner sur l’espoir qu’elle a donné à ce jeune de passer de l’autre côté, de sortir, de re¬ commencer à vivre. De courir dans l’herbe. Kamel est seul ici à raconter dans le plus total dénuement. « Je n’accepterai jamais d’être un as¬ sassin et c’est pour cette raison que j’ai essayé de m’enfuir de la prison, que j’ai pété des plombs depuis cinq ans. C’est aujourd’hui ma vie qui est ici en jeu. » Il dira encore : « Je ne peux pas res¬ ter tranquille avec cette accusation. » La prési¬ dente : « Vous allez péter un plomb ? - C’est pas Une victime revient s’asseoir après sa déposition à la barre et demande à la personne à côté d’elle : « J’ai été bien ? » 22 « Je suis mort, j’ai tout à gagner à dire la vérité » Kamel la bonne expression », répond Kamel. Ici, il faut faire attention à son langage et ne pas s’empor¬ ter. On lui parle de sa violence et de son agressi¬ vité, notamment en détention. « Si je suis agressif, eux, ils sont armés. » Pour ça, Kamel n’est pas totalement nu, il a pris des médica¬ ments puissants qui parasitent sa parole, ses mains gonflées tendues devant lui ne pourraient pas à ce moment-là tenir une arme ou caresser une peau, elles sont rendues pareilles à celles d’un ouvrier qui aurait passé sa vie sur des ma¬ chines à fabriquer des voitures de luxe pour ceux-là même qui défendent la pudeur. Mais Kamel ne l’est pas, pudique, c’est comme ça qu’il peut dire : « Je suis mort, j’ai tout à gagner à dire la vérité. » une autre fois. C’est l’enquêtrice qui parle, une gradée de la police, une capitaine de Valence. Elle est soumise au même questionnaire de la présidente : « Avez-vous des liens quelconques de subordination avec les accusés ou les vic¬ times ? - Ce sont mes collègues. » Passons. En tout cas, c’est comme ça que ça se passe. Lorsqu’on entend les collègues en question nar¬ rer l’histoire et accuser Kamel « catégorique¬ ment » et « formellement » d’avoir tiré à bout portant, Kamel reprend ce vocabulaire pour poser encore une question : « Est-ce que vous pourriez émettre le doute de ne pas savoir ? » Mais l’accusé ne doit pas poser de questions, il doit répondre. On retrouve la complexité. Mais l’écran descend à nouveau, on appelle un nouvel expert en visio¬ conférence, parce qu’on est en 2016 et qu’on veut faire comme en Amérique. Heureusement, la techno¬ logie reste ce qu’elle est, ça grésille, ça crépite et la présidente de séance s’impatiente, histoire de nous rappeler que derrière tout ça, sur la scène et dans les coulisses, il y a des humains. L’expert est un psychiatre qui a rencontré Kamel en dé¬ tention l’espace d’une heure, il y a quelques an¬ nées. On apprendra de lui que Kamel développe une intolérance à la frustration et une révolte face à l’injustice. Est-ce pour cette raison qu’il est enfermé ou surveillé depuis ses quinze ans ? Il parvient à raconter ce qu’il appelle la loi de la jungle, à décrire même : « Ça ne se fait pas avec l’intellect, mais avec les poings. » Nouvelle ques¬ tion de la présidente : « Avez-vous eu la haine contre l’uniforme ? » Jamais l’ordre établi n’est remis en question ici, sauf par Kamel qui se bat encore contre les violences qu’on lui a fait subir, non de son père qui s’excuse publiquement, non de sa famille représentée par sa sœur qui le sou¬ tient inconditionnellement, mais de l’état, de l’institution française qui se réclame de valeurs humanistes. « Vous savez, le problème, c’est que je suis toujours le seul accusé, les surveillants ne le sont jamais, ou ils auront toujours raison. » Kamel doit de l’argent à sa famille qui doit de l’argent aux avocats. On reprend les faits, encore Il dit encore : « Y a un monde entre vouloir tirer et menacer. » Comme il y a un monde entre une famille au nom à consonance du bled et des jurés français. Même si la famille est française aujourd’hui et que tous vivent de l’éduca¬ tion ou de l’entrepre- neuriat. « C’est une famille sans histoires », dira un avocat des par¬ ties civiles, peut-être Maître Tatillon, sans que l’on sache si cela joue en faveur ou en défaveur de Kamel. Mais le père a été violent. Alors il s’excuse. Kamel aussi s’excuse plusieurs fois. Personne ne s’excuse d’avoir placé une horloge au mur de la chambre de l’UHSA 1 dans laquelle Kamel échoue il y a quelques mois. Encore une question essentielle. « C’est bien pire qu’en cel¬ lule, on sait pas pourquoi y a une montre, mais y a une montre. » Au bout d’un temps incommensurable, on en¬ tend la plaidoirie des avocats de Kamel. « Quel âge aurez-vous en 2043 ? - Je n’ai jamais osé compter. » Peu avant, à la question de la prési¬ dente au père de Kamel de savoir s’il se sentait coupable, il lui a répondu : « Oui. Mais vous me permettez de m’en libérer. » Ce n’est pourtant pas à ce moment-là qu’un des jurés s’évanouit presque devant nous avant de disparaître der¬ rière la façade du mur du fond du tribunal, der¬ rière le décor. Une seule personne nous paraîtra sensée au cours de ce déferlement de pulsions ré¬ pressives dévoilé publiquement. Une employée d’un petit commerce de proximité : « Je n’ai plus « Quel âge aureZ'Vous en 2043 ? -Je n ai jamais osé compter. » 23 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 « Il faudrait faire ça à chaque procès, et ce pour chacun d’entre nous. » Kamel aucun souvenir précis. Je sais que j’ai tout donné sans résistance aucune. J’ai eu beaucoup de chance. Merci. Au revoir. » « Je suis rentré sept fois en prison. La prison ne m’a rien appris, c’est moi qui me suis élevé au- dessus d’elle intellectuellement. » À la question de son avocat de savoir quel travail on lui pro¬ pose en prison, Kamel répond : « Du travail à la chaîne duquel on apprend rien et pour lequel je serai payé 300 euros par mois pour payer les parties civiles. » Personne ne semble entendre ces paroles prononcées au cœur de cette machine en¬ rayée à l’image du flingue de Kamel qui ne fonc¬ tionnait pas. « Je voulais m’enfuir, ou mourir, pas au prix de la vie de quelqu’un, mais la prison n’est pas quelque chose de normal. » Le 22 juin 2016 après trois heures de délibéré le verdict tombe : quinze ans. Dans les rangs du tribunal où l’on vient de passer trois jours à soutenir notre ami face à son juge¬ ment, à le voir endosser les plaintes démesurées des parties civiles incarnées par des discours mo¬ ribonds et vengeurs, on se met à compter com¬ bien encore d’années. Quinze années qui s’ajoutent à trois qui lui reste à purger. Puis peut- être une confusion de peine et d’autres aména¬ gements, et beaucoup d’argent à verser ? Kamel sort de son box vitré, entouré de flics tou¬ jours plus armés et plus menaçants par leur taille et leur carrure au fil des trois jours, il regarde la salle comble : « Il faudrait faire ça à chaque pro¬ cès, et ce pour chacun d’entre nous. » Le collectif de soutien Kame-Libre s’est fondé au cours de l’été 2014. Un des professeurs de Kamel s’inquiète de son sort lorsqu’elle ne le voit plus venir à ses cours, elle se renseigne et obtient dif¬ ficilement de ses nouvelles. Procès, transferts, condamnation. Avec Kamel, elle lance un mou¬ vement pour combattre la punition, la prison même et les longues peines. Emissions de radio, soirées de soutien, le collectif s’élargit, la famille en rencontre les membres, la défense se prépare pour l’appel. Au cours de ces deux années, Kamel fait des allers-retours entre la volonté de crier, de publier, de parler au nom de tous, puis il se rétracte quelquefois, pris par la peur de dou¬ bler la mise ou de devenir un bouc-émissaire. Sa peur devient parfois iréelle, il se voit soutenu par la France entière, se voit à la télé et sur les grandes ondes... alors il se rétracte et craque. Passages nombreux en UHSA. Dehors on le suit, on écrit des lettres pour ne pas qu’il soit abattu de médicaments juste avant son procès. On or¬ ganise le soutien collectivement, avec sa famille aussi. Jusqu’au dernier moment on appelle à être nombreux devant le tribunal, puis ce sont les avocats qui mettent le bémol et nous demandent une présence liée à Kamel essentiellement, « sans tapage, ni banderoles ». Aujourd’hui Kamel ne souhaite plus appeler ce collectif par ce nom-là parce qu’il dit que libre, il ne l’est pas. Les tentatives de lier son cas parti¬ culier à la situation de nombreux prisonniers est un exercice difficile face à une justice qui individualise au maximum, et face à laquelle, pour voir baisser sa peine, il vaut peut-être mieux émouvoir sur son cas particulier que critiquer le système qui enferme. Pour au¬ tant, à la mesure des paroles de Hafed Benot- man qui avait su faire le lien entre sa famille et le collectif et restait pour Kamel une voix « qui valait le coup », rien n’est joué encore pour Kamel, qui devra se battre à l’intérieur pen¬ dant encore longtemps. Ne le lâchons pas pour qu’il ne lâche pas ; ni lui, ni les autres. 24 1/ Le 6 octobre, Kamel a de nouveau été incarcéré à l’UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée) du Vi¬ natier à Lyon. Sans nouvelles, ses proches n’ont été prévenus que douze jours plus tard. « DU DÉBUT À LA FIN, ON A ÉCHANGÉ PLEIN DE SOURIRES D’AMITIÉ » Rosa, ancienne intervenante à la prison des Baumettes et amie de Kamel « C’était tout au début de notre amitié... Nos conversations ont commencé à partir d’un exercice dont il a profité pour dénoncer le fonctionnement de la prison. A partir de là, on a eu des échanges tout passionnés par les idées et les projets à réaliser ensemble ; mais un jour, j’ai su qu’il avait été transféré. Je me suis mise à sa recherche immédiatement, sans savoir plus que son nom et son prénom. Lorsque je l’ai enfin retrouvé, c’était à la veille du premier jour de son procès à Valence ; il m’a donc été im¬ possible de l’accompagner de ma présence. Par contre, j’ai écrit et envoyé à toute vitesse une lettre pour parler de sa personnalité en pensant que son avocat de l’époque s’en servirait pour sa défense, mais il ne s’en est jamais servi. En même temps, j’ai réussi à faire parvenir un tout petit mot personnel à Kamel, qui pourrait sembler insignifiant, mais qui, d’après sa sœur, a fait naître l’unique sourire qui a éclairé son visage pendant les trois jours du procès car ce mot venait de la chanson Guantanamera, qui a marqué notre amitié ; et par ce mot, il a pu comprendre que j’étais là, et que je serais là quelle que soit la condamnation qu’il prendrait. Parce que d’après ce que m’a dit sa sœur, à part l’absurdité de sa condamnation, ce qui le faisait souffrir le plus profondément, c’était le fait d’être complètement seul, comme mis à mort, ou mis au tombeau, hors de la vue de quiconque, sans personne pour lui ten¬ dre la main... Parce que c’est de ça qu’il s’agit. La prison sert à mettre les gens à l’écart, à les faire ignorer par la société, à cacher leurs visages et leurs voix, à les éloigner à des distances si absurdes que dans bien des cas, même leurs familles finissent par les oublier. A cette époque-là, Kamel n’avait pas beaucoup de liens avec sa famille non plus, à cause de problèmes familiaux, et aussi à cause de la sensation d’impuissance de sa famille et du choc qu’ils avaient subi ; ni avec des amis, vu qu’il a passé toute sa jeunesse de transfert en transfert, de prison en prison. C’est pour cela que je pense que les plus grandes réussites du collectif Kamel-Libre - créé le 4 octobre 2014 à l’occasion de la première soirée de soutien, c’est : - de faire le lien entre Kamel et sa famille, d’avoir réussi à leur faire reprendre contact ; mieux, un contact actif, un soutien. - de donner la possibilité à Kamel de connaître des amis - et je ne parle pas seulement de nous, ses amis du collectif, mais bien de toutes les personnes qui ont pu connaître Kamel à travers nous. Je pense qu’aucun autre prisonnier n’a reçu autant de voeux pour son anniversaire. Les mots précis de Kamel avant son appel : « Ce sera mon jugement, mais en même temps ce sera un des jours les plus heureux de ma vie aussi : enfin, je vais voir mes amis, et eux aussi ils vont me voir ! » - car il n’a jamais pu voir les visages de tous ses amis, à part le mien... Son visage était caché, et le visage de ses amis aussi, les amis qui l’entouraient jour après jour, avec qui il riait, discutait, se disputait même ; enfin, avec qui il partageait ses jours... Par contre, à son procès en appel les 20, 21, 22 juin 2016, la salle d’audience était pleine de sa grande famille, dont certains membres étaient venus de vraiment loin, et de nous : ses amis, et les personnes intéressées par son sort venues montrer leur soutien. L’amitié qui entourait Kamel et qui remplissait la salle était tellement évidente que même une des victimes a fait une petit remarque : « Je vois Monsieur Kamel Bouabdallah bien entouré ; je ne sais pas pourquoi il faudrait s’inquiéter sur son sort ! Moi, par contre, je suis seule, il n’y a personne pour me soutenir dans cette salle. » Eh oui : enfin une bonne observation de la partie civile, qui mériterait même une réflexion plus profonde, car toute question a une réponse... Ça pourrait paraître absurde, ou plutôt extraordinaire, mais dans cette salle si inhumainement her¬ métique, il y a eu plein de moments où un rayon de soleil est passé, comme la pluie de pétales de rose sur la cour de promenade dont a parlé Christophe Khider, parce que du début à la fin, on a échangé plein de sourires d’amitié, Kamel et nous ; on s’est même envoyé des bises de la main. Et avant le ver¬ dict, avant qu’on lui mette les menottes, Kamel a levé son bras et nous a dit: « Kamel libre, Kamel libre ! », et nous on a répondu à haute voix: « Kamel libre, amitié, amour ! » Il n’y a pas beaucoup de procès comme celui-là ; mais tant qu’on ne peut pas jeter des pétales de rose au-dessus des cours de promenade, il faudrait qu’on montre notre amitié active dans tous les tribunaux... » 25 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 ZOhh>Z2>OZOo ~ > PC o CHAIR À SANCTION « EN PRISON, RESISTER, C’EST DÉJÀ LUTTER » Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne le 20 septembre 2016 Salut à toutes et tous, Quand on nous a demandé d’écrire à l’Envolée pour raconter la lutte menée par nos camarades pour exiger de les mettre dans la même prison (ils sont en couple et sont séparés depuis presque quatre ans) notre première réaction a été de dire un grand non. Nous ne pouvons pas écrire sur ça quand nous avons des camarades gravement malades en prison 1 , ou quand cer¬ tains, après vingt-six ans d’incarcération, voient leurs conditionnelles refusées systématique¬ ment 2 , ou encore quand certains de nos proches, à cause de la politique de dispersion 3 appliquée par les gouvernements français et espagnol à l’encontre de notre collectif, sont contraints de faire des centaines (voire des milliers) de kilo¬ mètres chaque semaine afin de nous rendre vi¬ site (les risques liés aux voyages sur la route ainsi que les dépenses économiques sont énormes). Malgré tout ça, nous avons décidé de vous écrire car nous estimons que chaque injustice (indé¬ pendamment de sa gravité) doit être dénoncée, de la même façon que chaque lutte (indépen- demment de son intensité) doit être racontée et socialisée. Le cas d’Isaskun et Ioseba, incarcérés respecti¬ vement à Vivonne et Fleury, séparés depuis qua¬ tre ans alors qu’ils sont en couple, n’est malheureusement qu’un cas de plus dans l’his¬ toire de notre collectif. Ici, en France, la durée moyenne [de séparation] est de quatre ans, c’est-à-dire le temps que dure l’instruction. La juge Le Vert, dans la plupart des cas c’était elle [biiiip], a toujours refusé le droit de bénéficier d’un parloir interne si les deux membres du cou¬ ple étaient en prison. En guise d’exemple, voilà deux cas de ces dernières années : Isaskun et Io- seba avaient le permis de visite depuis un an, mais puisqu’ils n’étaient pas dans la même pri¬ son, ben ils n’avaient pas de parloirs. Deux au¬ tres camarades, par contre, étaient tous les deux à Fresnes, mais sans le permis (également plu¬ sieurs années sans pouvoir se voir, et ils se sont battus aussi pour leurs permis). Pendant tout ce temps, Isaskun et Ioseba ont à plusieurs reprises écrit des lettres à la juge, aux directeurs, au ministre de la justice 4 , à l’OIP, à la contrôleuse des prisons, etc. Ils ont également organisé des campagnes pour que les gens de leurs villes écrivent des lettres à la juge et aux di¬ recteurs des deux prisons afin d’augmenter leur 26 pression. En novembre 2015, en raison de son jugement, Isaskun a passé un mois à Fleury ; pendant ce temps, ils ont pu bénéficier de par¬ loirs internes, mais au bout d’un mois Isaskun a encore été séparée de Ioseba car elle a été trans¬ férée à Vivonne. La juge Le Vert les avait assuré que cette séparation était une question de quelques jours, le temps qu’un nouveau trans¬ fert s’organise. Au début c’était Ioseba qui allait être transféré à Vivonne, finalement ça va être Isaskun qui va être transférée à Fleury. Mais les jours, semaines, mois ont passé... et rien n’a bougé. Finalement, en été 2016, vu qu’ils n’avaient pas le choix, Isaskun et Ioseba ont in¬ tensifié la pression. La lutte a eu deux piliers ; l’un a été les actions à l’intérieur de la prison. D’abord ils ont fait une dizaine de jours au QD, et après une autre dizaine de jours en grève de la faim. Nous, les autres prisonnières politiques basques, nous avons fait des petites actions plu¬ tôt symboliques 5 (mettre des affiches, écrire des lettres aux directeurs, faire des grèves de la faim d’une journée chacune pendant que nos cama¬ rades étaient en grève) pour montrer notre sou¬ tien et notre solidarité. L’autre pilier de la lutte a été les actions à l’extérieur de la prison, au Pays basque. Nous avons toujours dit et nous dirons toujours que nous appartenons au peuple et que c’est le peuple qui va nous juger, de même que c’est le peuple qui va nous libérer et nous aider dans la lutte pour le respect de nos droits. Cette fois, en plus de l’envoi massif de lettres à la juge et au directeur, on a aussi obtenu que les mairies des deux villes dont Isaskun et Ioseba sont origi¬ naires se positionnent en faveur de la revendi¬ cation de nos camarades. Chaque mairie a en¬ voyé une lettre aux directeurs et à la juge en de¬ mandant le rapprochement d’Isaskun et Ioseba dans la même prison. La lutte a porté ses fruits, et par la juge, nos camarades ont su qu’Isaskun allait être transférée à Fleury avant septembre. Après avoir passé un mois et demi 6 en pensant tous les jours « peut-être que le transfert est au¬ jourd’hui » (avec l’instabilité que cela suppose), finalement le transfert aura lieu fin septembre. Voilà, c’est à peu près tout. Force à toutes et tous, et comme on dit chez nous, BORROKA DA BIDE BAKARRA. (La lutte est le seul chemin... en sachant qu’en prison résister, c’est déjà lutter.) LES PRISONNIÈRES POLITIQUES BASQUES Pour plus d’infos sur notre collectif : etxerat.eus 1/ En tout, nous avons dix camarades gravement malades. Un en France (à Lannemezan), deux au Pays basque et sept en Espagne. 2/ Les « raisons » qu’ils utilisent pour refuser la conditionnelle sont toujours politiques. 3/ Cela fait vingt-six ans que notre collectif est dispersé un peu partout en Espagne et en France. Dans les prisons du Pays basque, il n’y a que deux camarades. Dans l’Etat français, il y a 80 camarades dans 24 prisons différentes. Dans les prisons les plus proches du Pays basque (Mont-de-Marsan et Lannemezan) il n’y a que neuf camarades. Pendant toutes ces années, seize proches ont perdu la vie à cause de cette politique criminelle. 4/ À l’époque, Madame Taubira n’avait même pas répondu, bien sûr. 5/ Selon Isaskun, dire « petites actions plutôt symboliques » c’est du n’importe quoi. C’est vrai que nous avons déjà pris des CRI, même du sursis de mitard, pour avoir mis des affiches en promenade par exemple. 6/ En vrai, cette situation a duré neuf mois, car en janvier déjà, la juge avait dit que Ioseba allait être transféré à Vivonne quelques jours plus tard. 27 L'Envolée n°45/novembre 2016 20hH0Z>oi >' LES MAGISTRATS DE VALENCE SONT DES FARCEURS Aurore face aux JAP et aux Spip Ça ressemble à une mauvaise blague, mais c’est une sinistre réalité, qui peut toucher n’importe qui : Aurore était convoquée le 13 octobre à Valence pour un débat contradictoire devant le juge d’application des peines (JAP), qui menaçait de la réincarcérer. Nouvelle étape d’une longue série de démêlés avec la justice et la pénitentiaire (voir 1 ’Envo- lée N°42) : il lui était reproché de ne pas avoir exécuté un T1G (travail d’intérêt général).,, alors même qu’elle a tout fait pour ! Pour ne pas la laisser seule face à cette machine bureaucratique et vengeresse, des cen¬ taines de tracts ont été distribués dans la ville et un rassemblement a eu lieu devant le tribunal lors de l’audience. Extraits du tract : « Quand la justice fait obstacle à l’exécution d’une décision... de justice » « En 2014, A. est condamnée à huit mois de prison pour une récidive de conduite sans permis. Incarcérée à la maison d’arrêt de Valence, elle y subit des violences de la part de certains sur¬ veillants. De l’intérieur, elle décide de porter plainte contre eux et de dénoncer leurs agissements. Mais cette plainte est aujourd’hui classée sans suite. À sa sortie, elle participe à des rassemble¬ ments devant la maison d’arrêt de Valence, ce qui lui vaut un rappel à la loi, des menaces, et des pressions de la part de sa conseillère Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation), Nathalie PERRIN, en rapport avec son contrôle judiciaire. En juin 2015, A. est condamnée pour un autre délit antérieur à son enfermement. Elle écope de 105 heures de TIG à faire dans un délai de douze mois. En septembre, elle prend contact avec la conseillère Spip chargée de la mise en place de son TIG. Mais au goût de Mme Perrin, A. n’est pas assez disponible (alors que ça n’empêche pas l’exécution de sa peine), et surtout son attitude n’est pas docile et ça lui déplaît fortement. Elle rédige un rapport négatif à son sujet, puis refuse de la rencontrer à nouveau. Durant l’hiver, le JAP F. Dumas couvre le comportement de sa subalterne, et menace A. de l’in¬ carcérer - en révoquant le sursis correspondant à la non-exécution de la peine, soit six mois de prison - au prétexte qu’elle ferait preuve de «mauvaise volonté ». [...] Le juge Dumas fera, comme depuis des mois à son sujet et des années au sujet de centaines d’autres personnes, ce qu’il veut de la liberté et de la vie d’A. ; mais cela ne se fera pas dans l’indifférence générale ! Soyons présent-e-s au palais de justice de Valence le 13 octobre dès 9 heures. Des proches de A. » 28 Extraits de l’interview d’Aurore à sa sortie du débat contradictoire le 13 octobre, réalisée par l’émission grenobloise Parloirs libres Aurore : Je leur ai remis des dossiers, avec des at¬ testations, dont une du psy qui prouve que les al¬ légations du Spip sont fausses. J’ai dit que la médiathèque m’avait confié qu’elle n’avait pas été sollicitée par Nathalie Perrin, alors qu’elle m’avait affirmé, elle, qu’elle avait demandé à toutes les structures possibles et que personne ne pouvait m’accueillir. J’avais fait du TIG à la mé¬ diathèque avant, ils m’ont fait une super attesta¬ tion pour dire que ça s’était bien passé et qu’ils voulaient me reprendre. Et malgré tout, le procu¬ reur a demandé quand même les six mois d’incar¬ cération ! J’étais choquée. Il prétend que je ne justifiais pas d’un travail, et que c’était pas le tra¬ vail du Spip qu’il fallait remettre en cause, mais moi ! Le procureur raconte que je n’avais pas à trouver de structures et à faire ça moi-même, alors que j’étais obligée. [...] En fait, le 30 juin, c’était ma date butoir pour effectuer le TIG, et le 29 février, donc quatre mois avant, le juge avait déjà répondu au Spip - j’en ai eu connaissance plus tard dans les rapports - qu’il me verrait en débat contradictoire. Donc tout a été verrouillé pour que je n’effectue pas mes 105heures. Mes premières attestations de la médiathèque datent du 9 mars, et ma date butoir était en juin, donc mon avocate a dit que ça me laissait largement le temps d’effectuer mes 105 heures. Et que norma¬ lement ce débat contradictoire ne devrait même pas avoir lieu, c’était anormal. Elle a demandé au JAP pourquoi je n’avais pas pu les faire. Ils n’ont pas répondu. Ils parlaient, ils parlaient, ça les gê¬ nait quand je prenais la parole, j’étais souvent in¬ terrompue. L’avocate a mis en avant que j’avais fait plusieurs recommandés, dont un dans lequel je demandais la conversion en jours amendes, et que le juge n’avait pas répondu. Pourquoi est-ce qu’il ne m’a pas répondu ? Voilà ce qu’il a dit : « Oooh... j’ai reçu tellement de courriers de Ma¬ dame... » Voilà, il n’y a pas de dialogue possible. Mon avocate a bien insisté sur le fait que c’est Nathalie Perrin qui n’avait pas fait son travail. J’étais contente qu’elle le dise. Elle a demandé la conversion en jours amendes, elle a mis en avant que j’avais six enfants... Le JAP a bien retenu tout ce que j’ai dit, mais ils ont vraiment couvert le Spip. Une autre chose qui m’a choquée : nor¬ malement, la direction du Spip devait être pré¬ sente, c’est le protocole. Et là : non ! Le juge m’a dit qu’il rendrait sa décision le 21 novembre. Est- ce qu’il va suivre le procureur qui a demandé six mois ? Ça fait peur. Même en admettant qu’il baisse et qu’il mette trois mois, c’est quand même trois mois ! Un pénaliste m’a dit que si les six mois d’incarcération étaient prononcés, il fallait absolument faire appel, que c’était inacceptable et qu’il faudrait que le magistrat rende des comptes. Le problème c’est qu’il m’a dit : « Si au palais ils ont une dent contre vous, ils risquent de vous incarcérer pendant la durée de votre appel. » Tous les professionnels m’ont dit que c’était de l’acharnement de la magistrature, c’est même pas moi qui le dit. P.L. : Ils t’ont fait des remarques sur le rassemble¬ ment et les tracts ? A. : Ça a fait tout un bazar à l’intérieur du tribu¬ nal. Mais moi ça m’a fait du bien, carrément ! Quand on sait qu’il y a des gens à l’extérieur, c’est un réel soutien, ça met du baume au cœur, parce que toute seule je pense que je me serais effon¬ drée. Merci à tout le monde. » Aurore est toujours sous la menace du verdict du JAP. Voici ce qu’elle déclarait dans l’émission parisienne de VEnvolée du 7 octobre : « Franchement, j’ai la boule au ventre... Malheureusement, ils sont tellement tordus qu’ils sont bien capables de me ré-enfermer ! Je n’aime plus dire « la justice », parce que pour moi ce n’est pas ça la justice, mais j’ai vu la magistrature et ses dérives : ils enferment à tour de bras, ils sont méprisants... Je ne sais même plus comment les décrire, ils sont monstrueux, ils sont même plus humains ! Ils détruisent plein de vies, ils font n’importe quoi. Je suis allée voir plusieurs autres affaires avec des copines - pour voir. C’est une catastrophe ! Ils sont intouchables parce que même le CSM [conseil supérieur de la magistrature] les couvre : si vous leur dénoncez des choses, malgré toutes les preuves qui prouvent leurs dérapages, même eux les couvrent en vous répondant : « Y a pas assez d’éléments. » C’est un milieu complètement pourri, c’est inhumain. Ceux qui n’ont jamais eu affaire à la magistrature ne savent pas ce qui se passe, ils ont confiance mais ils ne savent pas, ils croient que ce qui se passe est normal, il faudrait leur ouvrir les yeux ! » L'Envolée n°45/novembre 2016 CHAIR À PATRON fc GRÈVE DANS LES PRISONS AMÉRICAINES Le 9 septembre 2016, un mouvement de grève d’une ampleur sans précédent s’est déclenché dans plusieurs dizaines de prisons sur tout le territoire américain. La date avait été choisie en mémoire de la révolte de la prison d’Attica qui avait fait suite en 1971 à la mort de George Jackson avant d’être réprimée dans le sang. Au-delà de la référence, le mouvement actuel ne vient pas de nulle part ; depuis 2010, divers mouvements secouent à nouveau les prisons. C’est dans ce contexte qu’en avril dernier, le Free Alabama Mouvement (FAM), une organisation de prisonniers et de proches, a lancé un large appel contre l’esclavage des prisonniers, mais aussi contre les mesures d’isolement. Nous en publions la traduction intégrale. Aux Etats-Unis, les syndicats traditionnels représentent activement les intérêts des policiers et des gar¬ diens de prisons dans tout le pays - comme en France. Ils ne se préoccupent pas du sort des 2,3 millions de prisonniers, parmi lesquels 900 000 au moins travaillent. Le système carcéral est organisé de sorte que le travail est obligatoire - même quand il n’est pas payé du tout, c’est le cas dans trois Etats, ou payé des miettes dans les autres. Cette grève est une remise en cause radicale de ce système basé sur l’enfermement de masse des prolétaires - en particuliers noirs et hispaniques - et de leur pure et simple mise en escla¬ vage. Et sans le travail pénitentiaire, le système industriel carcéral ne tiendrait pas debout : on estime à deux milliards de dollars les profits générés chaque année par le travail carcéral - sans compter les écono¬ mies dues à la participation des prisonniers à leur propre enfermement. Melvin Ray, un des cofondateurs de FAM, a passé un an à l’isolement pour sa participation à l’organisation d’une grève en 2014 ; dans une interview Skype depuis l’intérieur de sa prison, il a récemment déclaré : « Les entreprises qui utilisent ce travail pénitentiaire, ce travail d’esclave, financent les comités d’action politique, elles financent les politiciens pour être sûres que les gens qui vont être élus vont faire passer le genre de lois dont elles ont besoin pour avoir accès à ce bassin de main-d’œuvre gratuite. » Comme on pouvait s’y attendre - surtout en pleine campagne présidentielle - les grands médias ont maintenu un black-out quasi total sur ce mouvement ; l’administration a tenté d’empêcher toute communication depuis les prisons en grève et nié le moindre ralentissement de la production au sein du système industriel carcéral. Deux militants américains qui participent depuis l’extérieur au mouvement de solidarité avec les prisonniers en grève nous ont fait part de leur analyse de la situation. THIS IS A CALL TO END SLAVERY IN AMERICA 30 #PRISONSTRIKE APPEL À METTRE UN TERME À L'ESCLAVAGE EN AMÉRIQUE Grève nationale des prisons 2016 D’une même voix qui s’élève des cellules d’isolement des longues peines et résonne dans les dortoirs et les bâtiments cellulaires de la Virginie à l’Oregon, nous, prisonniers des Etats-Unis, nous faisons le vœu de mettre enfin un terme à l’esclavage en 2016. Le 9 septembre 1971, les prisonniers se sont rendus maîtres de la prison d’Attica, la plus célèbre de l’Etat de New-York, et l’ont fait fer¬ mer. Le 9 septembre 2016, nous allons commencer un mouvement pour faire fermer des prisons dans tout le pays. Nous n’allons pas demander la fin de l’esclavage en prison, nous allons y mettre un terme nous-mêmes en cessant d’être esclaves. Dans les années 1970, le système carcéral des Etats-Unis partait en miettes. A Walpole, à San-Quentin, à Soledad, à Angola et dans un grand nombre d’autres prisons, les gens se levaient pour lutter, pour reprendre posses¬ sion de leurs vies et de leurs corps captifs dans les fermes-prisons. Depuis six ans, nous commémorons cette lutte, et nous la réno¬ vons. Dans l’intervalle, la population carcérale est montée en flèche et les tech¬ niques d’isolement et de contrôle ont connu un développement d’une sophistication sans précédent dans l’histoire mondiale de la répression. La stabilité des prisons dépend plus que jamais de l’esclavage et de la torture. Les prisonniers sont obligés de travailler pour une paye misérable, ou gratuitement. C’est de l’esclavage. Le 13 e amendement de la Constitution des Etats-Unis maintient en effet une exception légale qui permet l’escla¬ vage en prison : « Ni l’esclavage ni la servitude forcée ne sauraient avoir cours au Etats-Unis, sauf en punition d’un crime pour lequel le délinquant a été dûment condamné. » Les surveillants scrutent nos moindres mouvements, et si nous n’exécu¬ tons pas assez bien à leurs yeux les tâches qui nous sont assignées, nous sommes punis. Ils ont beau avoir remplacé le fouet par des sprays au poivre, la plupart des autres tour¬ ments sont encore là : l’isolement, les positions contraintes, les fouilles à nu, comme si nous étions des bêtes. L’esclavage se porte bien dans le système pénitentiaire, mais d’ici la fin de l’année, ça va changer. Ceci est un appel à mettre un terme à l’esclavage aux Etats-Unis. Cet appel s’adresse directement aux esclaves eux- mêmes. Nous ne faisons pas de demandes ou de requêtes à nos geôliers, c’est nous-mêmes qui nous mobilisons. A tous les prisonniers de tous les établissements fédéraux et d’État : nous vous appelons à cesser d’être esclaves, à laisser les récoltes pourrir dans les champs des plantations, à vous mettre en grève et à cesser de faire fonctionner les institutions qui vous enferment. Ceci est un appel à une interruption du tra¬ vail en prison d’ampleur nationale pour mettre un terme à l’esclavage carcéral à partir du 9 septembre 2016. Les manifestations non-violentes, arrêts de travail, grèves de la faim et autres refus de participer au fonctionnement des prisons se sont multipliés ces dernières années. La grève des prisons de 2010 en Géorgie, la très mas¬ sive grève de la faim par roulement en Californie et les arrêts de travail du Free Ala- bama Movement en 2014 ont retenu l’essentiel de l’attention, mais ces grèves sont loin d’être les seules manifestations de force des prisonniers. Des grèves de la faim de grande ampleur, parfois efficaces, ont éclaté au pénitencier d’Etat de l’Ohio, au Ménard Correctional center dans l’Illinois, à Red- Onion en Virginie et dans de nombreuses autres prisons. La résistance en plein essor 31 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 prend des formes diverses, en interconnec¬ tion ; elle s’étend aux centres de rétention pour migrants, aux prisons de femmes et aux institutions pour mineurs. L’automne der¬ nier, des prisonnières de la prison du comté de Yuba en Californie ont rejoint une grève de la faim commencée par des femmes détenues dans des centres de rétention en Californie, dans le Colorado et au Texas. Dans tout le pays, des prisonniers font régu¬ lièrement des démonstrations de force à l’intérieur, le plus souvent grâce à la solida¬ rité entre taulards qui a permis des alliances au-delà des frontières raciales et des apparte¬ nances à des gangs rivaux pour faire front uni contre l’oppresseur. Quarante-cinq ans après Attica, un vent de changement souffle à nouveau sur les pri¬ sons américaines. En septembre, nous comptons coordonner et étendre ces mou¬ vements pour en faire une vague de fond que le système pénitentiaire américain ne pourra ni ignorer ni supporter. Nous comp¬ tons mettre un terme à l’esclavage en prison en le rendant impossible, en refusant d’être plus longtemps esclaves. Pour atteindre ce but, nous avons besoin du soutien de l’extérieur. Une prison est un site facile à confiner, un lieu d’enfermement et de contrôle où la répression est inscrite dans chaque pierre, chaque maillon de chaîne, chaque geste et chaque procédure. Quand nous affrontons ces autorités, elles nous tom¬ bent dessus et seule la solidarité extérieure peut alors nous protéger. L’incarcération de masse, que ce soit dans les établissements publics ou privés, est un système dans lequel des chasseurs d’es¬ claves patrouillent dans nos quartiers et régentent nos vies. Pour l’alimenter, il faut une criminalisation de masse. Nos tribula¬ tions à l’intérieur deviennent à l’extérieur un outil de contrôle sur nos familles et nos quar¬ tiers. Certains Américains vivent au quotidien non seulement sous la menace d’une exécution extra-judiciaire - menace sur laquelle les manifestations autour de la mort de Mike Brown, Tamir Rice, Sandra Bland et tant d’autres ont enfin fini par attirer l’atten¬ tion - , mais aussi sous la menace constante d’être capturés, jetés dans ces plantations, enchaînés et mis aux travaux forcés. Notre mouvement contre l’esclavage en pri¬ son est une protestation contre le toboggan qui va de l’école à la prison, contre la terreur policière, contre le contrôle judiciaire après la peine. Quand nous allons abolir l’esclavage, ils n’auront plus autant intérêt à enfermer nos enfants et ils arrêteront de poser des pièges pour faire retomber ceux qui sortent de prison. En enlevant l’intérêt économique, en retirant notre force de travail du système pénitentiaire des USA, tout le système de la police et des tribunaux, du contrôle et de la chasse aux esclaves devra évoluer pour nous traiter en êtres humains, et non plus en esclaves. Pour plus d’informations : SupportPrisonerResistance.net FreeAlabamaMovement.com IWOC.noblogs.org « Nous allons y mettre un terme nous-mêmes en cessant d’être esclaves » « CA TOUCHE TOUT LE PAYS » y Entretien du 16 octobre 2016 avec P. et A., militants d’Oakland, à propos de la grève dans les prisons américaines Envolée : Alors, qu’en est-il de cette grève des pri¬ sons entamée pour l’anniversaire de la révolte d’At- tica ? A. : Je crois qu’il est important de savoir qu’avant cet appel à une grève des prisons, un grand nom¬ bre de choses ont eu lieu pendant les quelques an¬ nées précédentes. En 2010, il y a eu une grève de prisonniers en Géorgie, un Etat du Sud des Etats- Unis, puis il y a eu de nombreuses révoltes, émeutes et grèves dans les prisons du Sud : en Géorgie, en Alabama, des grèves de la faim en Californie à la Pélican Bay State Prison 1 en 2011 et 2013 contre l’isolement. E. : Oui, et en 2013, les prisonniers de Guanta- namo en grève de la faim contre leur détention infinie ont fini intubés et nourris de force. De¬ puis, le nombre de prisonniers dans cette prison a chuté de 2000 à 61, mais malgré les promesses d’Obama, elle n’est toujours pas fermée. On pense aussi aux grèves de la faim dans les centres de rétention pour migrants. Récemment, en août dernier, 22 femmes migrantes emprisonnées avec leurs enfants ont commencé une grève de la faim en Pennsylvanie contre leur « détention infinie ». P. : On peut dire que toutes ces révoltes étaient très organisées. C’est notamment le groupe Free Ala¬ bama Movement (FAM) 2 - déjà à l’œuvre en 2010 en Alabama - qui a organisé plusieurs grèves dans différentes prisons en 2014 et lancé en avril der¬ nier cet appel pour le 9 septembre 2016. E. : Y a-t-il un syndicat de prisonniers ? P. : Non, officiellement c’est interdit, mais c’est une des évolutions du mouvement actuel : des prisonniers et des proches commencent à s’orga¬ niser au sein du syndicat IWW (International Workers of the World) ; c’est relativement nou¬ veau, depuis quelques années. Ils ont constitué une nouvelle branche du syndicat : Incarcerated Workers Organising Comitee 3 , et c’est la princi¬ pale organisation de ce mouvement. Le syndicat n’est pas autorisé à l’intérieur mais il a quand même des membres en prison. Il est autonome, et ses membres à l’extérieur sont principalement anarchistes... C’est important de comprendre qu’il s’agit d’une lente et longue construction, d’une nouvelle période dans la lutte des prisons aux Etats-Unis. Cette grève de 2016 - qui est vraiment importante et diffuse partout - s’est construite lentement. Les gens sont de plus en plus organisés dedans comme dehors. P. : Dans le mouvement actuel, la grève de la faim est présente, mais il s’agit avant tout d’une grève du travail. Les membres de FAM ont lancé un appel depuis la prison d’Holman, - qui est la pri¬ son la plus organisée, et qui a dû affronter une grosse répression - mais ils sont restés ouverts, pour que d’autre puissent participer comme ils voulaient. Il y a énormément de revendications différentes en fonction des prisons ; il n’y a pas une liste unique, mais un appel commun à faire cesser le travail forcé en prison. C’est le point central : en gros, l’esclavage existe en prison en ce moment, c’est une continuation du système des plantations. Certaines prisons sont même bâties sur d’anciennes plantations. On voit que les forces de police, les tribunaux, le système carcéral des Etats-Unis ont évolué à partir du système de l’esclavage, et qu’ils oppriment et répriment les mêmes classes et groupes de gens. Donc ce mou¬ vement essaie de dévoiler ce lien. C’est dans la 1/ En 2011, 400 prisonniers de la prison Supermax de Pélican Bay mènent une grève de la faim. Ils sont rejoints par des milliers de prisonniers d’autres taules californiennes. Ils exigent la fin de l’isolement et remettent en cause la gestion de la direction. Ils obtiennent une baisse des mises à l’isolement mais se remettent en grève deux ans plus tard avec les mêmes revendications. Une enquête non-gouvernementale a été lancée, qui a abouti au lancement d’une procédure judiciaire. 2/ freealabamamovement.wordpress.com Quelques organisations qui se sont associées à différents niveaux à ce mou¬ vement : le Mouvement Ohio libre, le Mouvement Mississipi libre, la Ligue nationale des juristes... 3/ Comité d'organisation des travailleurs incarcérés. IWOC.noblogs.org 33 L ENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 20P3H> h, d >' ^ > Sd O Constitution américaine : le 13 e amendement de la Constitution autorise spéci¬ fiquement l’esclavage en prison. Bien que ce soit celui qui a rendu l’escla¬ vage illégal, ils y ont laissé une exception : per¬ sonne ne doit être forcé à travailler sans être payé, sauf s’il est condamné pour crime. A. : Le travail en prison est utilisé à la fois pour le profit d’entreprises privées, pour le fonction¬ nement des prisons elles-mêmes. C’est une com¬ posante vitale du système carcéral. Il y a aussi des usages publics spécifiques : par exemple, la plu¬ part des pupitres des écoliers des Etats-Unis sont fabriqués dans les prisons et la moitié des pom¬ piers de Californie sont des prisonniers. E. : Des organisations non-gouvernementales esti¬ ment à des centaines de millions de dollars les éco¬ nomies que cette forme d’exploitation fait faire au système dans son ensemble. Le système carcéral US est compliqué sur le plan administratif 4 . Cer¬ taines prisons sont privées, d’autres non... A. : Des prisons anciennement propriété de l’Etat sont vendues à des entreprises privées avec l’idée que les entreprises privées géreraient mieux les fi¬ nances et le reste. Le système des prisons privées a commencé dans les années 1980, Ronald Rea¬ gan en a été l’artisan. La Corrections Corpora¬ tion of America (CCA), la principale société, naît dans les années 1980 à Houston (Texas) avec des centres de détention de migrants. La CCA reste très impliquée dans la détention de migrants dont elle tire beaucoup de profits. Les entreprises pri¬ vées ont essentiellement des contrats avec les cen¬ tres de détention de migrants et avec les State prisons , les prisons gérées par les États. Il y a plus de prisons privées dans certains États que dans d’autres. Par exemple, le Texas a plus de prisons privées que la Californie. Pour les prisons fédé¬ rales gérées par l’Etat central, le gouvernement d’Obama a prétendu qu’il voulait diminuer les contrats avec les entreprises privées, mais rien ne prouve que les choses évoluent dans cette direction. Quant aux county jails , locales, elles restent pour la plupart en dehors du secteur privé. P. : Mais bon, c’est le même système, donc il y a des grèves dans les deux : les privées et les pu¬ bliques. E. : Cet éventuel recul du privé dans la gestion des prisons n’est défendu qu’au nom de la sécu¬ rité des personnels. La candidate Clinton n’en fait pas mystère. Pour en revenir à cette grève, peut- on en évaluer la force ? P. : C’est super dur à dire avec exactitude. Un grand nombre de prisons ont été fermées, « shut down », d’autres ont été « locked down 5 », c’est- à-dire que les prisonniers ne peuvent plus quitter leur cellule, que tous les mouvements sont sus¬ pendus par des autorités carcérales inquiètes de la grève et de son impact potentiel. Les prison¬ niers avaient des téléphones portables introduits en douce, qui ont été un outil vraiment important dans les grèves ces dernières années, surtout en Géorgie et en Alabama. Les matons ont fouillé les cellules pour voler les portables et ont coupé toute communication avec l’extérieur. Ils ont aussi transféré préventivement les leaders présu¬ més du mouvement. Il y aurait certainement eu davantage de prisons touchées sans cette répres¬ sion préventive, mais on estime qu’au plus fort du mouvement, 72 000 prisonniers y ont parti¬ cipé dans 29 taules réparties dans 22 Etats. Même si c’est très dur d’avoir des chiffres exacts, ça fait beaucoup, et ça touche tout le pays. Il y a toutes sortes de moyens d’action : il y a eu des manifestations pacifiques dans les cours de pro¬ menade, des grèves de la faim, et surtout des grèves du travail, des refus de travail, des refus d’obéissance. Il y a eu aussi des émeutes dans cer¬ tains endroits. Les Etats les plus actifs ont été le Texas, la Floride, la Géorgie, le Michigan, l’Ala- bama, l’état de Washington... Deux prisons de femmes ont participé : une en Californie, l’autre dans le l’Etat de Washington. A. : On peut citer le cas de la prison d’Holman, celle d’où vient l’appel : les prisonniers se sont 4/ Il est divisé en trois échelons administratifs : 102 prisons fédérales (200 000 prisonniers environ), 1 719 prisons d'États (1,3 millions en 2013), 3 283 local jail et 79 indian county jail (800 000 prisonniers en 2013). Auxquels il faut ajouter 942 prisons pour mineurs ainsi que les prisons pour étrangers et migrants. 5/ En gros : shutdown = fermer plus ou moins définitivement ; lockdown = enfermer dedans ; lockout = enfermer dehors. 34 mis en grève et les matons ont essayé de les répri¬ mer, et donc il y a eu une émeute. Un ou deux gardiens ont été plantés, ce qui a donné lieu à une couverture médiatique, mais très défavorable bien sûr... Les gardiens ont eu tellement peur après ça que certains d’entre eux ne sont plus venus travailler, ils ont appelé à la grève et ont été nombreux à démissionner. P. : Les prisonniers n’ont pas pris le contrôle de la prison, mais ils ont eu un fort impact. Le De¬ partment of Justice - l’organisme qui gère les pri¬ sons fédérales - a lancé une enquête sur les conditions de détention dans cette prison qui est pourtant une State prison. A. : Je ne crois pas que quoi que ce soit sorte de cette enquête, mais ça montre que ça a un effet. Les matons ont démissionné, au moins temporai¬ rement, et les cadres, ceux qui travaillaient dans les bureaux, se sont retrouvés à servir la bouffe et à faire les travaux les plus basiques... P. : Le directeur poussait le cha¬ riot de bouffe ! Mais en tout cas, en terme de résultats de la grève, il y a eu une énorme ré¬ pression. Les « leaders » sont harcelés. E. : Y a-t-il un mouvement anticarcéral aux Etats- Unis ? Qu’en est-il du soutien extérieur ? A. : Pendant le premier week-end de la grève, il y a eu des manifestations, des actions, des occupations, des banderoles dans beaucoup d’endroits : à Oa- kland (Californie), à New-York, à Austin (Texas), à Seattle... Il y a aussi eu une forte solidarité inter¬ nationale, notamment à Athènes, au Canada... C’est surtout le mouvement anarchistes qui s’est fortement impliqué dans la solidarité, et bien sûr, l’IWW a fait beaucoup, surtout dans le suivi avec les prisonniers et la communication des prisons avec le monde extérieur ; ce qui est primordial. Il y a eu un manque de couverture des médias, je dirais même qu’une partie des réseaux sociaux n’a pas assez prêté attention à tout ça. P. : Cette grève ne vient pas de groupes antipri¬ son, il s’agit d’auto-organisation des prison¬ niers. Sinon, il y a quelques publications anticarcérales émanant d’anarchistes de tous les Etats-Unis. Il y aussi d’autres groupes comme Critical Résistance (fondé en 1997 à Oakland, notamment par Angela Davis), qui milite pour l’abolition de la prison, mais avec une perspective différente par la constitution d'un mouvement de masse. Pour moi cette grève rappelle quelques évidences : l’importance de l’auto-organisation, de l’extension du combat, du long terme, de la communication - entre les prisonniers de diffé¬ rentes taules, et entre l’intérieur et l’extérieur. Je ne crois pas que nous assisterons à d’importantes réformes à la suite de ce mouvement, mais c’est plutôt un bon début. Je crois que nous avons be¬ soin de plus de perspectives anticarcérales, anti¬ capitalistes et antiautoritaires. La plupart des gens impliqués dans cette grève n’ont pas forcé¬ ment ces perspectives, mais ce n’est pas impor¬ tant. Ce qui compte, c’est que les gens luttent contre leur condition, ensemble. E. : Et maintenant, ce mouvement est-il terminé ? A. : Comme on l’a dit, à un moment, jusqu’à 72 000 personnes y ont participé. Dans certains endroits, il y a eu une grève d’une journée, dans d’autres une grève illimitée comme en Alabama... certains se sont lancés dans des grèves de la faim. La lutte prend des formes diverses selon les en¬ droits. Dans certaines prisons, ils ont arrêté, mais dans d’autres ça ne fait que commencer... Il y a une sorte d’effet boule de neige. Des prisonniers entendent parler de ce qui se passe ailleurs et se mettent à agir eux-mêmes. Il est donc difficile de savoir exactement quand ça commence et surtout quand ça finit. P. : Il y a une grève de la faim qui commence de¬ main, lundi 17 octobre, à Merced (Californie) 6 , contre les conditions de détention de cette county jail. Un tas de gens ont été inspirés par l’appel, mais certains d’entre eux ont d’autres revendications. E. : Y a-t-il eu un soutien de mouvements noirs comme Black Lives Matter ? 6/ Cette prison s’était déjà mise en grève à la mi-septembre, en particulier le Block 4 qui est l'unité féminine de la prison. Voir la page www.maskmagazine.com/the-prisoner-issue/struggle/live-up- dates-prisoner-strike. Vlv ’ 1381 Tob*1 MASS INCARCERATION A. : C’est difficile à dire ; il y a eu un peu de soutien, mais il y aurait pu y en avoir plus. De ce que j’ai vu, je dirais que les gens qui s’en inquiètent le plus, qui agissent le plus en so¬ lidarité, ce sont les groupes anarchistes. Mais je pense qu’il y a une partie du mouvement Black Lives Matter qui est enthousiasmé par cette lutte. Je crois que beaucoup de gens observent, et at¬ tendent ce qui va se passer... P. : Il faut aussi préciser que Black Lives Matter est un mouvement continu, un genre de slogan, une façon que les gens ont de s’organiser, plutôt qu’une organisation ; même si l’organisation existe. E. : Au sein du mouvement en prison, y a-t-il une lutte spécifique des prisonniers noirs, contre leurs conditions spécifiques ? A. : Pas tant que ça. P. : Ils ne parlent pas forcément directement de ça, mais je pense qu’ils n’en ont pas besoin parce que la plupart sont Noirs. A. : Il est important de rappeler qu’en prison aux Etats-Unis, en tous cas dans beaucoup d’en¬ tre elles, il y a de profondes divisions raciales. Ces divisions sont le reflet de la société à l’exté¬ rieur, mais en beaucoup plus intense. Les auto¬ rités utilisent ces divisions pour que les prisonniers se battent entre eux. La plupart des prisonniers sont Noirs ou Latinos, ils sont ciblés spécifiquement par un système raciste ; c’est im¬ portant de ne pas contribuer à cette séparation entre les prisonniers. Et j’ai l’impression que ceux qui se sont impliqués dans la grève ont fait des efforts, à l’intérieur, pour unifier les gens. Il est très important de parler du racisme dans le système carcéral, c’est absolument crucial, mais je crois aussi qu’à l’intérieur, c’est un sujet qui doit être développé avec précaution. E. : Peut-être pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le lien entre esclavage et prison ? En France, nous disons pour simplifier que la pri¬ son est là pour punir les pauvres, et pas spécia¬ lement les Noirs ; aux Etats-Unis, c’est un peu différent, je crois ? A. : Je dirai que c’est pareil aux Etats-Unis. La prison est là pour punir et confiner les pauvres. La relation avec le capitalisme est directe. Mais aux Etats-Unis quand on parle de pauvreté on doit aussi parler de racisme, ces deux choses sont proches et entremêlées. Il y a bien des Blancs en prison aux Etats-Unis, mais ils ne sont pas, en général, aussi lourdement condamnés que les Latinos et les Noirs ; mais les Blancs qui sont en prison y sont parce qu’ils sont pauvres, pour la plupart. Par ailleurs, l’origine du système carcéral aux Etats-Unis est directement liée à l’esclavage. Tout de suite après que l’escla¬ vage a été aboli par le 13 e Amendement de la Constitution, le système légal des Etats-Unis a commencé à se transformer dans un sens où la vie des personnes noires libérées de l’esclavage était en quelque sorte confinée, régentée et res¬ treinte par les lois de Jim Crow, par ce qu’on ap¬ pelle les « codes noirs »... C’est à ce moment que le Police Department tel qu’on le connaît a été formé aux Etats-Unis. Il est issu de l’institution des chasseurs d’esclaves, des gens qui étaient em¬ bauchés pour rattraper les esclaves en fuite. Cette institution s’est transformée en Police Depart¬ ment. Dans certaines villes, des Noirs affranchis allaient chercher du travail et trouver quoi faire de leur vie. De fait, ils passaient pas mal de temps dehors. L’Etat a donc voté des lois pour restrein¬ dre le temps qu’ils pouvaient passer dans la rue. Les gens, selon leur couleur et la façon dont ils voulaient mener leur vie, ont été conduits tout droit dans le système carcéral qui s’était créé. Puis a été mis en place le système appelé Convict Lease System (Système de location de condam¬ nés) par lequel les entreprises privées avaient la possibilité de louer des prisonniers pour les faire travailler. Il s’agit tout simplement d’esclavage : les entreprises tirent profit de l’utilisation de gens arrêtés à cause de ces « codes noirs », et donc em¬ prisonnés. Le système de travail forcé fait donc immédiatement suite à l’esclavage. Autres insti¬ tutions, same shit. Certains endroits qui étaient des plantations avant l’abolition de l’esclavage sont devenus des prisons. P. : Ta description de la trajectoire de la police et des prisons aux Etats-Unis est totalement cor¬ recte... mais c’est important de savoir qu’elles ont aussi évolué plus récemment. La prison est une manière très post-industrielle de gérer les gens que l’Etat ne peut plus utiliser. Il y a eu une période aux Etats-Unis où il y avait beaucoup de « boulots de classe moyenne » pour les Noirs, pendant la Se¬ conde Guerre mondiale ; après la guerre, ces em- AFftUfcN A^ICANS AKÊ ttfWKttRbïÇP AT NEhRll StX limïS Ttf £ RATE ÛF WH/ÎÊ ArviÊAICANS. plois ont disparu. C’est plus ou moins le point de départ du mouvement Black Power : avec plein de gens des centres culturels, des réseaux de solidarité pour les Afro- Américains ; le centre social d’Oakland (Califor¬ nie) a sans doute été l’un des principaux. Le Black Panther Party s’est développé directement sur les bases de ce déclin et du conflit avec les Blancs qui a suivi, au fur et à mesure que la société noire s’ap¬ pauvrissait de plus en plus. E. : Ils étaient devenus inutiles au capitalisme... P. : Exactement. On peut regarder le développe¬ ment du système carcéral moderne comme un moyen pour le capitalisme de gérer les gens, que ce soit en les stockant ou en les mettant au travail. A. : Ce processus s’est accéléré dans les années 1980, lors de la désindustrialisation massive de l’économie américaine, alors qu’elle évoluait vers une économie de services, ce qui a placé la plu¬ part des nouveaux emplois entre les mains de cer¬ taines personnes, et a créé, re-créé, un système de castes raciales aux Etats-Unis. Ce qui fait qu’il y a des taux de chômage plus haut dans les quar¬ tiers noirs, et que les taux d’incarcération, depuis les années 1980, ont explosé à cause de la trans¬ formation de l’économie américaine. Par ailleurs, c’est aussi une sorte de répression après le mou¬ vement des Droits civiques et le mouvement Black Power. L’Etat policier est devenu très fort, et les lois et les peines se sont multipliées et sont devenus très répressives pendant les années 1990, sous Bill Clinton. Plus de prisons ont été bâties, davantage de gens y ont été stockés. Il y a environ 3 % de la population américaine en prison. Entre 2,3 et 2,4 millions de personnes sont sous main de justice. E. : Trois mois avant la révolte d’Attica, le prési¬ dent Richard Nixon avait déclaré sa Guerre à la drogue. La population carcérale des prisons d’Etat et des prisons fédérales approchait les 200 000. Pendant les années Reagan et Clin- 7/John Ehrlichman, conseiller de Nixon pour les affaires intérieures. ton - qui ont été celles de la mon¬ tée en puissance de la Guerre à la drogue et de l’introduction des peines plancher - et jusqu’à ce jour, ce nombre n’a cessé d’enfler. Entre 1970 et 2005 , la population carcérale a augmenté de 700 %. A. : Un des proches collaborateurs de Nixon 7 a récemment admis lors d’une interview que la « guerre à la drogue » était une complète inven¬ tion, et qu’il n’était question que de répression de la communauté noire et du mouvement contre la guerre des années 1970. Il a dit, en gros : « Com¬ ment détruire ces communautés, sans que ce que vous faites soit évident ? Utilisez une nouvelle drug war. » C’est exactement ce qu’ils ont fait. La « guerre à la drogue », c’est la répression des mouvements politiques des années 1970, et aussi une manière de garder ces populations sous contrôle au sein du système capitaliste. E. : Vous pensez que ce mouvement va durer ? P. : A ce stade, je crois qu’aussi bien pour le mou¬ vement antipolice que pour la lutte en prison, la seule façon pour l’Etat d’y mettre fin sera la ré¬ pression brutale. Ce qui est très possible. Ou alors par l’intermédiaire d’un gouvernement libéral très intelligent... E. : Il faudrait que ces deux mouvements s’unis¬ sent, parce que si on est Noir et pauvre aux États- Unis, on a le choix entre être incarcéré et être tué. A. : Oui, aux États-Unis, un Noir sur trois a été incarcéré à un moment de sa vie ; c’est un taux terriblement élevé, c’est de la folie. Aujourd’hui, plein de gens aux États-Unis sont au courant de ça grâce au mouvement Black Lives Matter. Pour les deux mouvements, il est très important de se rejoindre afin que les gens aient vraiment une vi¬ sion d’ensemble. P. : Je ne sais pas si ça va quelque part, mais que je crois que ça ne va pas s’arrêter. Parce que tout ça a commencé il y a des milliers d’années (rire) et ça ne s’est toujours pas arrêté... ça ne s’arrêtera pas. La question est : comment cela va-t-il continuer ? Quelles formes cela va-t-il prendre ? Pour des infos sur la suite ET LE SOUTIEN CONTRE LA RÉPRESSION DU MOUVEMENT ON PEUT CONSULTER : SUPPORTPRISONERRESISTANCE.NOBLOGS.ORG km rr«Di£s jhow THAT RA1BS Cf DAUfr KELA7ED CK I m E 1$ îirrttLAR ACR0JS ALL 37 LENVOLÉE N45/N0VEMBRE 2016 2 O H > TJ >' ^ O « J’aurais bien crié à l’assassin, mais dans ce cas-ci, c’était Bibi » Centre de détention d’Orvault, le 7 septembre 2016 Salut l’Envolée Et voici un 2 e petit courrier accom¬ pagné d’un texte que peut-être vous publierez si le souhait s’en fait. En tout cas merci encore pour ce moment d’évasion quand on reçoit le magazine. Juste dommage que l’Envolée ne soit que trimestriel, car il y a vrai¬ ment des choses à dire sur le sys¬ tème carcéral. En tout cas bravo pour votre persévérance et conti¬ nuez comme ça surtout. On en a besoin. Force, courage et détermination. PARUTION Enfermé entre quatre murs, j’me demande encore pourquoi j’ai fait ça. Combien de pompes ce sol a-t-il supportées ? Quelle quantité de fumée de clopes ce plafond a-t-il respirée ? Trop tard pour réfléchir le constat est là. J’ai déconné sans penser à l’après, désolé pour ma mère. Plus que moi, elle subit la prison, désolé pour le désespoir. Trop de tristesse dans le regard lors des nombreuses visites au parloir. On m’avait pourtant prévenu, c’était soit la mort, soit le parlu. J’ai écouté personne, plus fort que tout le monde, toujours trop têtu. La sentence est là, dix ans dans les dents, prends et ferme ta gueule. J’aurais bien crié à l’assassin, mais dans ce cas-ci, c’était Bibi. Sans contestation possible, paraît qu’il y avait préméditation. Des cachetons, une avocate minable et voilà la sanction. La justice pardonne pas la pauvreté, m’a condamné et s’en est allée. Déclaré danger social, c’est la société qui crée les dangers. Danger psychiatrique, c’est les jurés qu’il faudrait enfermer. Alors on attend, attendre, bon résumé pour la prison. Toujours attendre pour tout et n’importe quoi. Même chose pour l’UCSA. Faut pas avoir le malheur d’avoir des problèmes de santé en zonzon. Ces bâtards sont sponsorisés par Doliprane. T’as mal au dos, un Doliprane, aux dents un Doliprane, au cul... un toucher rectal. La taule privation de libertés ? Privation de tous sentiments. Alors on parle tous de notre prochaine date de libération. Seul remède pour pas disjoncter et déglinguer un surveillant. HUGUES N’dréa - Les éditions du bout de la ville «r Perdre mu vie est Un risque plus grand que celui de mourir, » U J êjitirw* du Umt dt in rittr Durant les années 1980, Andréa partageait sa vie avec un groupe d’amis. Ensemble ils refusaient le travail salarié et la société qui l’organise. En 1985, elle apprend qu’elle a un cancer. Opérations, rayons, chimio... Quand on lui propose un traitement expéri¬ mental, elle rompt définitivement avec le milieu hospitalier. Les Editions du bout de la ville republient les textes qu’elle a adressés à ses amis et à ses infirmières pour affirmer ce choix. « Vivre sans risques est choisir le pire, celui de mourir pauvre. J’avais fui bien des en¬ fermements ; d’abord le travail salarié. En quinze années de hors-la-loi, j’avais évité la prison, mais pas la maladie. De l’argent, j’ai fait l’expérience du pire et du meilleur. » 38 Y'A DE LA MUTINERIE DANS L’HERTZ Voici une liste de librairies et de lieux où on trouve L’Envolée. Nous remercions d’avance ceux qui nous indiqueront d’autres lieux où nous pourrions déposer le journal. ANGERS : LES NUITS BLEUES AUCH I LE MERLE MOQUEUR / LE MIGOU AVIGNON : LA MÉMOIRE DU MONDE BAYONNE : ELKAR BAGNOLETI LE REMOULEUR BESANÇON! L’AUTODIDACTE bordeaux: la librairie du muguet BREST: D.ROIGNANT / LA PETITE LIBRAIRIE CLERMONT-FERRAND : LOCAL DE LA CNT-AIT DIJON: BLACK MARKET DOUARNENEZ: L’IVRAIE GRENOBLE: LE LOCAL AUTOGÉRÉ / ANTIGONE / LA BAF IVRY SUR SEINE : ENVIE DE LIRE LILLE: CCL / L’INSOUMISE LIMOGES : UNDERSOUND LYON: BUFFET FROID / LA FOURMI ROUGE / LA GRYFFE / LA LUTTINE/ LE BAL DES ARDENTS / LE TASSE LIVRE / OUVRIR L’ŒIL / TERRE DES LIVRES / UN PETIT NOIR MARSEILLE: L’ÉQUITABLE CAFÉ / L’ODEUR DU TEMPS / LE MOLOTOV / CQFD / LE BOUQUINEUR /MANIFESTEN / TRANSIT / L’ARBRE A THE / OCCUS POCUS / MAUPETIT / MILLE BABORDS / LA PASSERELLE / LE KIOSQUE /ARTICLE 13 MONTPELLIER: SCRUPULES MONTREUIL-SOUS-BOIS : LA PAROLE ERRANTE NANTES: Bl7 / CAFÉ LA PERLE / VENT D’OUEST PARIS III : COMME UN ROMAN PARIS V: LA GALERIE DE LA SORBONNE / LE TIERS- MYTHE / LE POINT DU JOUR PARIS XI : ENTROPIE / LA FRICHE / LIBRALIBRE / LIBRE ÈRE / LADY LONG SOLO / PUBLICO / QUILOMBO PRO¬ JECTION / PAGE 189 / MANŒUVRE / LA MUSARDINE PARIS XIX : LE MERLE MOQUEUR / TEXTURE PARIS XX : L’ATELIER / LE MONTE-EN-L’AIR / LE GENRE URBAIN REIMS : LE CRI DU PEUPLE ROMAN S - SUR-1SÈRE : LIBRAIRIE DES CORDELIERS ROUEN: l’insoumise SAINT-DENIS : FOLIES D’ENCRE saint-étienne: l’étrange rendez-vous / LA GUEULE NOIRE / LUNE ET L’AUTRE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT : LIBRAIRIE ANCIENNE STRASBOURG : QUAI DES BRUMES TOULOUSE: LE KIOSK / OMBRES BLANCHES / TERRA NOVA VALENCE : NOTRE TEMPS / LE LABORATOIRE ANARCHISTE BRUXELLES : ACRATA / LA BORGNE AGASSE / JOLI MAI / TROPISMES / MAELSTRÔM / LIBRAIRIE VOLDERS LIÈGE: ENTRE-TEMPS Brest: EXTRA-MUROS - Un lundi sur deux de 19 h à 20 h Radio U - 101,1 FM. 02 98 03 82 61. 6, rue PenAr Creach, 29200 Brest et sur internet: groupe.brest@genepi.fr Prison couverte : MA de P hermitage Bordeaux : l’autre parloir (Genepi) - Le mercredi de 18 h 45 à 20 h 30 La clé des ondes - 90.10 FM Tel. du direct : 05 56 50 69 99 à partir de 19 h pour les messages Prison couverte : MA de Gradignan Caen: La DÉMANGEAISON DES AILES - Un dimanche sur deux à 15h. Radio Bazarnaom - 92.3 FM 65, rue des rosiers, 14000 Caen / Mail : lademangeaisondesailes@laposte.net Prison couverte : CP de Caen-Beaulieu Dijon: SUR LES TOITS - Un dimanche sur deux de 17h à 18 h. Radio Campus - 92.2 FM Prison couverte : MA de Dijon / Mail : wakinyan@no-log.org Grenoble : Les Murs ont des Oreilles - Le 3 e mercredi du mois de 19hà20h Radio Kaléidoscope - 97 FM / Prison couverte : MA deVarces / CSL Saint-Bruno Parloirs Libres - Tous les jeudis de21hà22h. Radio News FM - 101.2 FM Pour les messages : 04 56 14 23 54 / 57 quai du Drac, 38600 Fontaine; ivoox.com Lyon : La PETITE CUILLÈRE. Tous les 2 e et 4 e jeudis de chaque mois de 2Oh à 2 lh sur radio canut 102.2 fm à Lyon et alentour (entre 5km et 20 km) ou partout ailleurs sur radiocanut.org. Retransmis en direct sur Radio Dio (Saint-Etienne) Répondeur : 07 81 35 93 71 Mail : lapetitecuillere@riseup.net Atelier d’écriture, 91 rue Montesquieu, 69007 Lyon. Marseille: Radio Galère - 88.4 FM PASSE-MURAILLES - 4 è lundi du mois de 20h à 21 h 30 Pour les messages (répondeur) : 07 58 74 63 01 ; https://passemuraille. noblog.org/ Tél. du direct: 04 91 08 28 15 / 41, rue Jobin - 13003 Marseille Mail : passe-muraille@riseup.net / Podcast : http://soundcloud.com/passe-muraille Parloir libre - Le jeudi de 20h 30 à 22100 et le samedi de 19h à 21 h Tél. du direct : 04 91 08 28 10 / 41, rue Jobin - 13003 MarseillePrisons couvertes : MA des Baumettes / EPM LaValentine / MA deTarascon / Centrale d’Arles / Luynes Région parisienne: L’Envolée - Le vendredi de 19h à 20h30 Fréquence Paris Plurielle - 106.3 FM et sur internet : www.rfpp.net/envoleeradio@yahoo.fr. (Rediffusion le mardi à 8 h) Tél. du direct: 01 40 05 06 10 / 43, rue de Stalingrad - 93100 Montreuil RAS-LES-MURS - Le mercredi de 20h30 à 22h30 / Radio Libertaire - 89.4 FM Prisons couvertes : MA de Bois-d’Arcy / MA de Nanterre / MA de Fresnes / MA de Fleury-Mérogis / MA de la Santé / MA deVillepinte / MA de Versailles / Centrale de Poissy / MA d’Osny Rouen : AU DELÀ DES MURS - Le 1 er et 3 e samedi du mois de 17h à 18h30 sur radio HDR 99.1 FM www. radiohdr.radio.fr Téléphone du direct : 02 35 12 68 92 Mail: audeladesmurs@laposte.net / Prisons couvertes : MA de Rouen Saint-Etienne/Lyon: Papillon - Les 1 er et 3 e jeudis du mois de 20h à 2lh Radio Dio - 89.5 FM (retransmis en direct à Lyon sur radio Canut -102.2FM) et sur internet: www.radiodio.org. CSA - 16 rue du Mont, 42100 Saint-Etienne emissionpapillon@riseup.net Prisons couvertes: MA LaTalaudière (à Lyon: MA Corbas/EPM Mezieux) Toulouse: Bruits de Tôle ou L’Envolée - Le jeudi de 19h à 20 h / Canal Sud - 92.2 FM - 40, rue Alfred-Dumeril - 31400Toulouse et sur internet : www. canalsud.net / Mail : canalsud31@wanadoo.fr Tél. du direct: 05 61 53 36 95 -Tél. messages : 07 53 33 86 80 Prisons couvertes : MA de Seysses / CD de Muret / MA de Montauban L’Envolée 43, rue de Stalingrad / 93100 Montreuil E-MAIL : CONTACT@LENVOLEE.NET www.lenvolee.net Pour vous abonner, écrivez-nous I Joindre un chèque de 15 euros (ou plus)... Gratuit pour les prisonniers Dépôt légal à parution TGI Paris n° 20306 - Directrice de publication: Denise Le-Dû. - Impression: Expressions II, Paris XI e - Commission paritaire en cours. Prison centrale de femmes. Rennes, le 28/09/2016 Je m’appelle Béa, ça fait cinq ans que je suis en prison et je voulais vous faire parvenir ce témoignage. J’ai été incarcérée une première fois entre 1985 et 1989 ici à la prison de Rennes. À cette époque, j’étais mineure, mais après la justice n’a plus entendu parler de moi pendant trente ans. En 2012, j’ai été condamnée à une peine de perpétuité avec vingt ans de sûreté par la cour d’assises de Caen après avoir vengé mon fils et un autre garçon de 18 ans qui ont été séquestrés et violés pendant cinq mois par un gendarme à la retraite. D’abord, j’ai été incarcérée à la maison d’arrêt de Caen où je me suis pendue. Une surveillante m’a réanimée et suite à ça j’ai été transférée à Rennes pendant sept mois avant de revenir à Caen pour mon procès. Le procès a été très dur mais je suis restée la tête haute. En mai 2015, j’ai passé trois mois à Fresnes au CNE et là-bas, on m’a fait un bilan médical dns lequel ils ont trouvé que j’avais un cancer avec point d’interrogation et la consigne de faire des examens rapidement. À mon retour à Rennes, j’ai dû attendre quatre mois avant de passer les examens. Quand ils m’ont pris en charge, ils ont vu que j’en suis au troisième stade. En janvier 2016, j’ai vu l’ORL qui a confirmé le diagnostic. Les infirmières et les médecins ont eu très peur parce que le cancer est localisé au niveau des amygdales et j’étais gonflée comme un ballon. J’ai porté plainte auprès de la Contrôleuse des prisons parce qu’ils ne m’ont pas prise en charge à temps. Maintenant ils sont en train de faire une enquête mais ça peut durer trois ans. Je supporte mal le fait d’être enfermée à vie avec cette maladie. Le traitement est très dur. J’ai fait la radiothérapie cinq jours par semaine de mai à juillet, et la chimio une fois par mois. Pour les extractions médicales, je suis escortée et menottée dans un camion de la pénitentiaire, pas dans une ambulance. Mais là-bas, j’ai des bons rapports avec le personnel médical, les infirmières sont à l’écoute et tout se passe bien. Ils respectent le secret médical à la demande du médecin qui fait sortir les surveillantes. Ici en détention, je ne peux pas être longtemps avec des gens parce que je me fatigue très vite. Je ne peux pas sortir en promenade parce que quarante-cinq minutes dehors c’est trop pour moi. À cause de la fatigue, je reste presque toute la journée en cellule. Ils ont dû m’arracher toutes mes dents et je n’ai pas de régime alimentaire adapté. Ils me donnent des trucs liquides par sonde et des compléments alimentaires protéinés mais il n’y a pas de purées. Heureusement, j'ai la solidarité des filles qui me font des soupes et des compotes que je peux bien avaler. La prison a beaucoup changé depuis ma première incarcération. Avant, l’ouverture des portes se faisait à 13h30 et nous étions obligées de passer la journée en commun. Aujourd’hui, nous pouvons rester en cellule si nous le souhaitons, il y a plus d’activités et la médiathèque est plus grande ; par contre les mesures de sécurité sont plus consé- J quentes. À l’époque, c’était plus facile de s’évader, il n’y avait pas tous ces barbelés et | les grillages des fenêtres pouvaient se dévisser avec une petite cuillère. Les surveil- à lantes restaient plus entre elles et nous, les prisonnières, entre nous. À l’époque, il y * avait plus de solidarité entre détenues, on ne se balançait pas, on ne parlait pas aux surveillantes comme on le fait aujourd’hui. J’espère m’en sortir. Ils m’ont dit qu’ils ne peuvent pas me guérir et le seul espoir, c’est de sortir de prison. J’ai demandé une suspension de peine, laquelle va être examinée entre septembre et octobre de cette année. Je reste optimiste parce que ma situation est très grave, et même si j’ai perpétuité, j'y ai droit. Chez moi, je serai avec mes fils et mes petits-fils et là-bas, je serai bien entourée. Si j’ai pris la justice pour mon compte c’est parce que je n’ai pas confiance en la justice. Pour moi, la justice est une pute. Les détenus doivent pouvoir se procurer les journaux de leur choix n’ayant pas fait /‘objet d’une saisie dans les trois derniers mois. Seul le garde des sceaux peut retenir (à la demande des chefs d‘établissement) les publications, et ce seulement s’ils contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires (art.D444 du CPP)).